Giacometti/Beckett

Rater encore. Rater mieux.

Jusqu’au 28 mars 2021

Fondation Giacometti, 5 rue Victor Schoelcher, Paris 14e

À l’heure où j’écris, la date de réouverture des lieux culturels a été une énième fois repoussée. Heureusement, la Fondation Giacometti a tenu à maintenir la présentation presse de sa nouvelle exposition. « Rater encore. Rater mieux » est un parallèle percutant entre l’oeuvre littéraire de Beckett et celle sculpturale de Giacometti.

L’exposition n’a pas été facile à monter. En dehors des restrictions sanitaires et de tout ce que cela implique pour les prêts des oeuvres, la difficulté principale réside dans le fait que lorsque deux artistes développent une relation profonde, peu de correspondance subsiste. « Quand on se voit tous les jours ou presque, on ne s’écrit pas ! », explique Hugo Daniel, commissaire de l’exposition.

Quelques photos ont été prises des deux hommes dans l’atelier de Giacometti, des carnets de croquis mentionnent le nom de Beckett. « Pas d’ouvrage en commun, pas de texte de Beckett sur Giacometti, pas de portrait de Beckett par Giacometti », souligne H. Daniel. « Beckett avait une relation ambivalente à l’image, entre attraction et méfiance », précise-t-il. Seuls deux catalogues d’expositions sur les oeuvres tardives du sculpteur ont été retrouvés dans la bibliothèque de Beckett.

Leur amitié s’étend pourtant de la fin des années 1930 à la mort de Giacometti en 1966. Ils fréquentent les mêmes cafés de Montparnasse (La Closerie des Lilas, Le Dôme, Le Sélect) et les cercles du surréalisme. Giacometti rejoint le groupe en 1930. En 1928, Beckett a eu une relation amoureuse avec Peggy Guggenheim, soutien des Surréalistes ; elle visitera l’atelier de Giacometti dix ans plus tard et lui achètera des oeuvres. Tous deux contribuent à la revue Transition, sous la direction d’Eugène Jolas.

Leurs discussions et confrontations d’idées se retrouvent indéniablement dans leur travail respectif.

L’idée de la cage, dont la forme apparaît dans Boule suspendue en 1930 chez Giacometti, trouve un écho dans le roman Murphy, où le héros – infirmier dans un hôpital psychiatrique – se trouve dans une impasse physique et mentale.

Les deux artistes confrontent la réalité psychique au pouvoir du réel. Ils sont persuadés que pour sortir de cette dualité corps et esprit, il faut s’affranchir du rationalisme.

Pour cela, ils dépouillent les formes. La matière des oeuvres comme la forme des phrases (ponctuation, syntaxe) s’amenuisent à l’extrême. Pour atteindre le néant parfois.

Selon Beckett, « être un artiste, c’est échouer comme nul autre n’ose échouer, [que] l’échec constitue son univers. »

Dans les années 1950, le théâtre prend de plus en plus de place dans la vie des deux hommes. Ils réaliseront ainsi leur seule collaboration. Giacometti imagine le décor d’En attendant Godot : un seul arbre frêle, comme le sont ses figures humaines, dans un coin de la scène.

« Cet arbre porte toute la précarité de l’existence humaine », conclut Hugo Daniel.

Dans cette période troublée, on ne peut que ressentir la portée de ces mots et la puissance fragile des oeuvres exposées…

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