De Géricault à Matisse
Jusqu’au 21 juillet 2019
Musée d’Orsay, 1 rude la Légion d’Honneur, Paris 7e
Etonnante exposition que celle présentée au musée d’Orsay sur « Le modèle noir ». Le parcours revient sur la représentation des personnes « de couleur », de la Révolution française au début du XXe siècle, tous médias confondus.
L’exposition se concentre sur le lien entre les hommes et femmes noirs ou métis qui ont posé pour les artistes, désignés au mieux par un prénom mais pour la plupart restés anonymes.
« Il ne s’agit pas d’une exposition sur la représentation des Noirs perçus comme groupe social », précise Laurence des Cars (présidente des musées d’Orsay et de l’Orangerie). « C’est bien au ‘modèle’ que nous nous intéressons, modèle dont le double sens – sujet regardé, représenté par l’artiste, aussi bien que porteur de valeurs – est parfaitement assumé. »
Le parcours s’articule autour de trois sections : le temps de l’abolition de l’esclavage dans les colonies françaises, avec une immense toile de François-Auguste Biard, La Traite des noirs (1835) qui donne l’impression, avec ces chaînes brisées et cet immense drapeau français, que les esclaves n’ont pas gagné leur liberté mais que la République leur a généreusement donnée .
Vient ensuite « le temps de la nouvelle peinture » autour de l’Olympia d’Edouard Manet. Une oeuvre qui fait scandale lorsqu’elle est présentée au Salon de 1865 car l’artiste ose présenter une prostituée blanche, alanguie, à deux doigts d’une servante noire, à l’attitude déférente, tenant un bouquet de fleurs. Dans sa Moderne Olympia, Cézanne rend la chose plus provocante encore en introduisant le client et en accordant un rôle théâtral à la servante.
Les avant-gardes suivent avec Derain, Picasso, Douanier Rousseau, Matisse. Ce dernier entreprend un voyage à destination de Tahiti, en passant par New York. Il découvre Harlem et ses clubs de jazz. A son retour, il mêle les motifs floraux et colorés inspirés des îles à des découpages dont la ligne évoque le rythme du jazz (Danseuse créole, 1951).
La dernière salle est marquée par l’installation de Larry Rivers (1923-2002) qui propose une double version de l’Olympia : un corps blanc allongé devant une servante noire et un corps noir allongé devant une servante blanche. Ainsi qu’une version « trouée » de l’Olympia de Aimé Mpane (né en 1968).
En contrepoint, Glenn Ligon réalise l’installation Des Parisiens noirs constituée de douze néons accrochés sur un fond noir pour rendre hommage aux personnalités « de couleur » connues (Alexandre Dumas père, Joséphine Baker) et inconnues (la servante Laure qui pose pour Manet). Une oeuvre installée sur les tours au fond de la nef centrale du musée.
Dans une scénographie fluide – pas de salles franchement séparées -, on appréhende les oeuvres iconiques de – pour n’en citer que quelqu’uns et dans le désordre de ma mémoire ! – Théodore Géricault (Le Radeau de la Méduse, vers 1819), Théodore Chassériau (Etude d’après Joseph, 1838), Charles Cordier (ensemble de têtes africaines sculptées), Edgar Degas (Miss Lala au cirque Fernando, 1879), Frédéric Bazille (La Toilette, 1870), Henri Rousseau (La Charmeuse de serpent, 1907), Paul Cézanne (Etude d’après le modèle Scipion, 1866/68), Félix Nadar (Maria l’Antillaise, entre 1856/59). Avec un focus sur l’Olympia (1863) de Manet et la fascination de Matisse pour la créolité, en écho aux Fleurs du Mal (inspirées par la « mulâtresse Jeanne Duval, amante et muse de Baudelaire, mais aussi modèle de Manet), que Matisse illustra sous l’Occupation allemande.
Une exposition inédite et richement documentée, d’autant plus appréciée que la thématique sort des sentiers battus !