Le monde comme il va

Jusqu’au 2 septembre 2024

Bourse de Commerce Pinault Collection, 2 rue de Viarmes, Paris 1er

Titre emprunté à un conte philosophique de Voltaire, « Le monde comme il va » invite le visiteur à une prise de conscience collective des turbulences du monde à travers une sélection d’oeuvres issues de la collection Pinault. En prime, une carte blanche a été offerte à l’artiste coréenne Kimsooja, récemment exposée sous la verrière des Galeries Lafayette (hiver 2023).

Vue de l’exposition. Photo : Nicolas Brasseur / Pinault Collection © Sun Yuan & Peng Yu / ADAGP, Paris, 2024 © The Estate of Sigmar Polke, Cologne / ADAGP, Paris, 2024

Les artistes ont depuis tout temps joué le rôle de veilleurs. Ils constatent, ironisent, parodient, les paradoxes de l’être humain. « Inexplicables humains », s’écrie Babouk, le narrateur de Voltaire, « Comment pouvez-vous réunir tant de bassesse et de grandeur, tant de vertus et de crimes ? » (1748).

Bertrand LAVIER, Dino, 1993. Ferrari Dino 308 GT4 accidentée. Pinault Collection © Bertrand Lavier / ADAGP, Paris, 2024. Courtesy de l’artiste. Photo : Rebecca Fanuele.

Dans ce parcours, les oeuvres, qui s’échelonnent entre 1973 et 2023, avec un accent sur celles de la décennie 1985-1995, expriment l’extrême conscience du présent des artistes et l’ambivalence de leurs oeuvres, leur double lecture. À l’image des actions humaines, tantôt innocentes et joyeuses, tantôt violentes.

Mohammed SAMI, One Thousand and One Nights, 2022. Technique mixte sur lin. Pinault Collection © Mohammed Sami. Courtesy de l’artiste, de Luhring Augustine (New York) et de Modern Art (Londres).

Cette dualité apparaît dès l’oeuvre introductive de l’artiste irakien Mohammed Sami, Les 1001 nuits (2022). Avec ce titre légendaire qui rappelle la magie des contes orientaux, on pourrait se laisser bercer par la vision onirique d’un ciel bleu-vert, traversé d’étoiles brillantes. Mais cette image pourrait aussi être celle d’une toute autre réalité, bien moins poétique, lors la première guerre du Golfe : un ciel nocturne traversé par des défenses antimissiles.

Anne IMHOF, Untitled, 2022. Huile sur toile. Pinault Collection © Anne Imhof. Courtesy de la Galerie Buchholz.

Une explosion cataclysmique que l’on retrouve à l’étage dans l’oeuvre d’Anne Imhof (2022) générée par l’intelligence artificielle avec la vue d’un ciel noirci d’une poudre explosive. Elle fait face à la Ferrari accidentée de Bertrand Lavier (1993). Destruction et construction sont concomitantes dans ces oeuvres.

Jeff KOONS, Balloon Dog (Magenta), 1994-2000. Acier inoxydable au poli miroir avec revêtement transparent coloré. Pinault Collection © Jeff Koons

Cette facette double se poursuit dans la section « art, amour et politique » avec des oeuvres notamment de Damien Hirst et Jeff Koons. Le célèbre Balloon Dog (Magenta) de la série « Celebration » pose comme une oeuvre joyeuse, qui pourrait sembler innocente. Sauf que ses formes, toutes en rondeurs et en plis, sont des allusions sexuelles. Koons la compare au cheval de Troie. De son côté, Damien Hirst constate que la religion du XXIe siècle s’est muée en une croyance dans la science. Comme si les molécules chimiques pouvaient nous aider à dépasser la finitude de la condition humaine.

Ce présent que l’on voudrait étirer se retrouve dans la nature morte en forme de dos féminin d’Anne Imhof, avec insérée dans le chignon l’inscription « Now and Forever ». Un fantasme temporel qui rejoint celui de l’espace, lorsque les progrès technologiques ont permis de fabriquer le Concorde, capturé par Wolfang Tilmans, de son décollage à son évaporation dans le ciel.

Peter DOIG, Pelican (Stag), 2003-2004. Huile sur toile. Pinault Collection © Peter Doig. Tous droits réservés. DACS / ADAGP, Paris, 2024.

Citons ensuite une très belle oeuvre de Peter Doig d’un homme sous une chute d’eau et des palmiers, Pelican (2003-2004). Cette scène de Trinidad pourrait passer pour idyllique, si l’on ne connaissait pas le contexte. « L’artiste a surpris cet homme en train de tuer un pélican », précise Jean-Marie Gallais, commissaire de l’exposition. Acte cruel qui ne se voit pas dans la peinture, hormis les quelques traces rouges à la droite du tableau.

KIMSOOJA, To Breathe – Constellation, 2024. Vue de l’exposition
© Kimsooja / ADAGP, Paris, 2024.

Cette interrogation sur le voyeurisme trouve écho dans l’oeuvre de Kimsooja. Le sol de la rotonde a été recouvert de miroirs sur lesquels le visiteur peut marcher avec des chaussons. La vive luminosité reflète les fresques du plafond autant que chacun de nos propres mouvements. C’est à la fois éblouissant et étourdissant !

Un parcours excellemment mené que les 18-26 ans peuvent découvrir gratuitement tous les jours à partir de 16h.

Taggé .Mettre en favori le Permaliens.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *