L’influence japanisante dans l’Art Nouveau

La Libre Esthétique - Salon annuel, Gisbert Combaz, 1899, Les Arts Décoratifs, Musée de la Publicité, Paris, Photo: L. Sully JaulmesKatagami, les pochoirs japonais et le japonisme

Maison de la culture du Japon à Paris, 101bis quai Branly 75015
19 octobre 2006 – 20 janvier
Rens.: 01 44 37 95 01

La maison de la culture du Japon à Paris présente une élégante exposition sur les katagami – de minutieux pochoirs en papier utilisés pour peindre les tissus. Que de récentes recherches reconnaissent avoir influencé l’art créatif occidental, en particulier les Arts Nouveau et Déco.


Apparus au cours du XIIIè siècle, l’usage des katagami se développe dans la seconde moitié de l’époque d’Edo (1603-1868). Ils parviennent aux portes de l’Europe à la fin du XIXè siècle, notamment à Vienne, Bruxelles, et Paris.

Chaise de salle à manger, Emile Gallé, c. 1904/5, Les Arts Décoratifs, Musée de la Publicité, Paris, Photo: L. Sully JaulmesLes deux-cents pièces exposées consistent à la fois en des exemples de pochoirs (en particulier des XVIII et XIXè siècles), mais également des applications qui en ont été faites – kimonos, affiches, bijoux, décorations d’intérieur (papier peint, meubles) et architecturale.

Katagami de types chûgata et komon

Au Japon, la technique de la teinture au pochoir remonte au VIIIè siècle, à l’époque de Nara. La teinture se fait alors par blocs de bois gravés.
L’artisanat du katagami – teinture sur papier – fait son apparition au XIIIè siècle, à l’époque de Kamakura. Un pochoir, enduit d’une pâte de riz imperméable, est déposé sur un tissu. Celui-ci est ensuite plongé dans un bain de teinture afin de faire apparaître les motifs.

Katagami de type chûgata: motif de feuilles de mauves en arabesque, 1758 - (c) Tokyo National University of Fine Arts and Music
Le katagami komon correspond à de petits motifs pointillés, tandis que le katagami chûgata se rapporte à des motifs de taille moyenne.

Pendant l’époque d’Edo, les motifs komon ornent les tenues de cérémonies des guerriers (mâles). Plus tard (mi-XVIIIè siècle), ces motifs se généralisent aux hommes et femmes de la classe des chônin – marchands et artisans des villes. Et jusqu’à l’ère Meiji Kasane en crêpe japonaise à motif komon, Epoque d'Edo, ère Meiji (19è siècle) - (c) Bunka Gakuen Museum(1868-1912),les kimonos des femmes en sont décorés. Ces motifs minutieux caractérisent un style précieux, urbain, dénommé iki.
A l’inverse des motifs chûgata, réservés aux gens du peuple.

Fabrication du katagami

Plusieurs épaisseurs de feuilles (généralement six) de washi – papier japonais issu de l’écorce de mûrier – sont collées avec du jus de kaki, qui renforce l’imperméabilité du papier.
Le papier rigidifié est alors découpé. Soit avec un kiri-bori – poinçon à pointe semi-circulaire finement aiguisée – ou un dôgu-bori – emporte-pièce dont l’embout a la forme d’un motif (pétale de cerisier, aiguille de pin, etc.) – pour les motifs komon. Soit avec un tsuki-bori – petit canif de pointe de 1 à 2 mm – pour les motifs chûgata.
Ensuite, le katagami est posé sur l’étoffe, qui est teintée. Les imperfections sont retouchées au pinceau ou avec une petite brosse.

L’arrivée des pochoirs en Occident

Le Japon sort de son isolement au cours des années 1850. Des traités sont signés avec les Etats-Unis, et la plupart des pays européens. Le Japon participe dorénavant aux Expositions Universelles, ce qui accroît la découverte de sa culture en Occident.
A partir des années 1890, les katagami peuvent s’acheter dans les grands magasins comme Liberty à Londres ou Hayashi à Paris.
Quelques collectionneurs, tel Emile Leroudier – soyeux lyonnais -, participent à l’acquisition des pochoirs en Occident.
Mais l’homme qui lance réellement la mode des katagami est l’Allemand Siegried Bing (1838-1905), grand marchand d’art chinois et japonais, éditeur de la revue Japon artistique. En 1895, il transforme sa galerie en un chef-d’oeuvre d’Art Nouveau.

De la Sécession autrichienne aux Arts Nouveau et Déco

A la fin du XIXè siècle, des artistes viennois et allemands tentent de regénérer l’art – dominé par l’avant-garde française – en s’inspirant des estampes japonaises ukiyo-e. Comme l’atteste la mosaïque de la salle à manger du palais de l’industriel belge Adolphe Stoclet, réalisée par Gustav Klimt (1862-1918): à l’instar des estampes japonaises, le corps des personnages – un couple s’embrassant – est remplacé par des aplats de motifs; seuls les visages et les bras sont représentés de manière réaliste.

L’Art Nouveau à proprement parler apparaît en Belgique dans les années 1890. Art total, il considère l’espace quotidien comme un lieu d’expression artistique. Les influences majeures de ce courant sont le mouvement Arts & Crafts, né en Grande-Bretagne, sous l’impulsion du designer William Morris, ainsi que le japonisme.

Katagami de type chûgata: motif de corbeaux et de neige, Epoque d'Edo, Ere Meiji (19è siècle), Collection particulière - Photo (c) Takemoto Haruji Dans le domaine pictural, les estampes japonaises ukiyo-e ont eu un impact sur le néo-impressionnisme et le symbolisme – tandis que les katagami sont utilisés dans les arts décoratifs et l’architecture. En effet, les lignes courbes typiques de l’Art Nouveau belge rappellent les formes organiques des motifs des pochoirs – lierre, tiges de végétaux, insectes, poissons, cheveux de femme – représentées de manière stylisée avec des lignes sinueuses.
Cette influence se retrouve dans les motifs des textiles et céramiques de Henry Van de Velde (1863-1957), et plus tard, en France, dans les gravures et peintures de Maurice Denis ainsi que les bijoux de René Lalique (1860-1945).

A l’origine, les artistes du mouvement Art Nouveau sont proches de courants politiques radicaux, qui aspirent à une révolution sociale. Dans les années 1890, les katagami sont introduits en Belgique en tant que technique peu coûteuse permettant à la classe ouvrière d’avoir accès aux arts par leur application dans la vie quotidienne. Mais, au début du XXè siècle, ce procédé devient un moyen d’expression moderne, qui donne naissance à l’Art déco, dans les années 1925.

Une exposition raffinée à l’image de la culture japonaise traditionnelle. Seule bizarrerie – plus à l’image de certaines moeurs nippones modernes – l’éclairage de petites parties de salles, provient de néons fluorescents – un hommage inopportun à Dan Flavin? Car non seulement, ils éblouissent le regard, mais l’oeil n’a pas le temps de s’habituer à cette drôle de luminosité que la couleur change, ce qui empêche une bonne lecture des inscriptions. Pour autant, la scénographie de l’exposition par Jean-Michel Fiori est excellente.

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