« L’Art différemment »: la Pinacothèque de Paris

Roy LICHTENSTEIN, Collage for 'Still Life with Picasso', 1973. Feutre magique, ruban, papier peint et impression sur carton. 72,4 x 53,3 cm - (c) Estate of Roy Lichtenstein, New York/ADAGP, Paris, 2007Exposition inaugurale: Roy Lichtenstein, Evolution

Jusqu’au 23 septembre 2007

Pinacothèque de Paris, 28 place de la Madeleine 75008, 8€

Un nouveau « musée » à Paris, qui refuse de s’appeler comme tel…voilà de quoi faire courir la rumeur et titiller les curieux!

Pourtant, au premier abord, le lieu ressemble à une quelconque institution culturelle. Certes, la Pinacothèque est localisée au centre de la so chic place de la Madeleine – et, en ce sens, se distingue des autres monuments culturels, tous plus ou moins historiques, qui respirent le passé.

Hormis cette localisation moderne, force est de constater que règne un sentiment de « déjà vu ». Le visiteur en effet arrive dans un espace avec une caisse d’entrée – 8€ l’exposition temporaire, soit le même prix que dans la plupart des musées -, un vestiaire pour laisser les objets encombrants (y compris les casques de vélo!), et deux gardes du corps massifs pour vérifier que vous avez bien payé votre ticket. Rien de surprenant jusque là.
Poursuivons la visite. Nous descendons un escalier pour atteindre l’exposition d’ouverture consacrée à Roy Lichtenstein (1923-1997), l’un des artistes les plus représentatifs du Pop Art new-yorkais, aux côtés d’Andy Warhol.

La scénogrphie de L. Guinamard-Casati, architecte du Patrimoine, propose un parcours en vague, assez sympathique à suivre – pas de salle longiligne à perte d’horizon, qui décourage le visiteur à peine engagé dans son apprentissage culturel!
L’organisation de l’espace reprend celui de l’atelier de l’artiste. Avec, en prime, la volonté – par des effets de transparence et de reflets (murs blancs et discontinus de manière à créer des vides) – de solliciter la mémoire du visiteur d’une oeuvre à l’autre.

Un effort cérébral de forme qui coïncide avec le fond de l’exposition. Celle-ci entend décrypter le processus créatif de Roy Lichtenstein. Déconstruire son oeuvre, en partant de l’idée initiale pour atteindre la réalisation finale, et ainsi mieux la comprendre.

De fait, l’art industriel, impersonnel, et fluide de l’artiste américain, tel qu’il apparaît une fois achevé, est le résultat d’un long processus cognitif et manuel. D’abord R. Lichtenstein effectue toujours une esquisse préparatoire, réutilisée dans un collage, qui conduit lui-même à une peinture, une estampe ou une scupture.

Le dessin initial prend sa source dans l’iconographie populaire comme la bande dessinée. Notamment Dagwood, Donald Duck, Tintin, Girl’s Rmances, Heart Throbs and Secret Hearts. En parallèle, l’artiste s’inspire des paysages, baigneuses, portraits ou nus des artistes européens modernes, comme Van Gogh, Cézanne, Monet, Matisse, Braque, et surtout Picasso.

« Je ne me suis jamais défait de ma première influence, le cubisme de Picasso, et pourtant j’ai passé ma vie à essayer de m’en détourner. Tant que je n’avais pas ‘fait’ un Picasso, je n’ai pas pu me sentir libéré de son emprise. » D’où son oeuvre cathartique: Still Life with Picasso (1973).

Roy LICHTENSTEIN, Collage for 'Still Life with Reclining Nude', 1997. Papier peint et impression sur carton. 101,9 x 153 cm. Collection Fondation Roy Lichtenstein - (c) Estate of Roy Lichtenstein, New York/ADAGP, Paris, 2007Ce mélange d’influence à la fois traditionnelle, moderne, et contemporaine – dans le choix des matériaux, en particulier, le Rowlux [feuilles de plastiques qui donnent l’illusion du miroitement, idéal pour représenter le ciel ou l’eau] – donne pour résultat un tableau comme Stille Life with Reclining Nude (1997). Cette oeuvre représente une scène d’intérieur: un salon au milieu duquel repose une danseuse – « copie » du nu couché de Matisse. J’y vois même une seconde référence: la forme des arbres que l’on aperçoit à travers la fenêtre reproduit à mes yeux La Danse de Matisse, (1931-33, version finale au musée de l’Hermitage).

Comme tout artiste, Roy Lichtenstein a vu son style évoluer. De ses toutes premières oeuvres – des sculptures pré-colombiennes, en pierre, en terre cuite ou en céramique – à ses toiles abstraites et expressionnistes, en passant par ses peintures surréalistes, l’artiste aiguise sa réflexion sur la nature et la représentation de l’art. Ainsi disait-il: « Généralement, quand ils dessinent, les artistes ne voient pas réellement la nature telle qu’elle est. Ils y projettent ce qui leur a été transmis par d’autres personnes. » (About Art, 1995).
Jack Cowart, directeur exécutif de la Fondation Roy Lichtenstein, New York, et commissaire de l’exposition, ajoute: « Sous les couleurs et les lignes vigoureuses, il y a un artiste [R. Lichtenstein] qui repousse les limites et les conventions de la culture visuelle et qui oeuvre à mettre à mal une compréhension trop confortable. »

Au final, si le lieu ne nous a pas paru révolutionnaire – contrairement au buzz médiatique qui a accompagné son ouverture -, reconnaissons que cette première exposition a du caractère, sur le fond plus que sur la forme. On aurait aimé qu’au lieu des multiples citations – fort pertinentes par ailleurs – empruntées à l’artiste lui-même pour commenter son art, figurent aussi celles de critiques et d’historiens de l’art afin d’apporter un regard extérieur.
Par ailleurs, l’étage supérieur, consacré à la photographie, n’est pas encore ouvert au public, et l’on reste sur sa faim. D’autant que l’on est en droit de se demander pourquoi une pinacothèque, qui signifie étymologiquement « musée de peinture », accueille des photographies (question épineuse à laquelle le directeur de la Pinacothèque s’est bien gardé de répondre!).
Que le lieu accueille une boutique ouverte sept jours sur sept et devienne privatisé le soir nous importe peu. Là ne réside pas le changement auquel prétendaient les concepteurs du projet. A mon goût donc, cette institution culturelle doit encore fait ses preuves quant à la réelle nouveauté du traitement de l’art, auquelle elle prétend.

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4 réponses à « L’Art différemment »: la Pinacothèque de Paris

  1. stanislas daniele dit :

    que cette approche est originale,comparée aux banalites recurrentes que l’on trouve ici et là,comme des copiés collés!outre la precision,et la richesse des commentaires,je salue la légèreté et l’audace du ton!un travail serieux,soutenu et regulier,mais sans cesse renouvelé!c’est tres agréable de te retrouver sur ce site!

  2. nouchema dit :

    Bravo pour cette chronique.

    On revient tout juste de la PINACOTHEQUE, et cette exposition est effectivement très bien faite.

    Notre fille de 6 ans, qui « moi je n’aime pas les expo », a adoré également .
    et Spécialement pour y découvrir, dans les oeuvres de Lichtenstein, les modèles et autres formes qui ont inspiré Lichtenstein dans la réalisation de ses oeuvres.

    Car effectivement ce qui est assez intéressant dans cett expo, c’est la mise en scène du « POURQUOI du COMMENT », c’est à dire que pour chaque oeuvre, est décrit l’origine de l’inspiration de Lichtenstein.

    J’ai été, tout comme toi tu as semblé l’être, touché par le
    « Still Life with Reclining Nude (1997) ».

    Et je rajouterai que les ARBRES reproduits dans le paysage du fond, à travers la fenêtre viennent d’un tableau de CEZANNE, et non de MATISSE, à mon umble avis.

    Cezanne qu’on a d’ailleurs été voir à AIX EN PROVENCE, l’été dernier, expo magique dans la profusion des oeuvres exposées.

    Cordialement
    Nouchema

  3. Sophie dit :

    Merci pour votre commentaire. Mais je confirme que la forme contorsionnée des arbres me rappelle la toile intitulée « La Danse » réalisée par Matisse et non Cézanne!

  4. Ping :Le tragi-comique des photographies poissonnières de Becker-Echivard - Artscape: Art, Culture & Paris

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