Jackson Pollock et le chamanisme
Jusqu’au 15 février 2009
[fnac:http://plateforme.fnacspectacles.com/place-spectacle/manifestation/Exposition-POLLOCK-ET-LE-CHAMANISME-POLLO.htm]
Pinacothèque de Paris, 28, Place de la Madeleine 75008, 9€
La Pinacothèque de Paris présente une nouvelle lecture de l’oeuvre de l’expressionniste abstrait Jackson Pollock (1912-56), en référence au rôle fondamental qu’a joué le chamanisme dans son oeuvre. Une démonstration par l’image, associant peintures du maître et objets rituels amérindiens. Absolument convaincante.
Aujourd’hui reconnu comme l’un des peintres américains les plus importants du XXe siècle, Paul Jackson Pollock a vécu dans la précarité. Psychologique en raison d’une enfance tourmentée entre un père absent, une mère autoritaire, de nombreux déménagements (huit fois entre 1912 et 1928). Et surtout les signes d’une dépendance à l’alcool dès ses quinze ans. L’artiste mourra aussi violemment qu’il aura vécu dans un accident de voiture à Springs (Etat de New York), à l’âge de 44 ans.
Cet état de trouble personnel se double d’un contexte politique et économique particulièrement déprimant: les Etats-Unis subissent de plein fouet la Grande Dépression suite au crach boursier de 1929 et, au niveau international, les tensions montent entre les grandes puissances qui doivent affronter les débordements du totalitarisme nazi.
Devant autant de désordre, il semble logique que les artistes de l’époque – les surréalistes tel André Masson (1896-1987) réfugiés à New York et les expressionnistes abstraits tel Marc Rothko (1903-1970) – aient cherché à créer un homme nouveau. Pour combattre « l’homme des masses » des années 1930, selon l’expression de Stephen Polcari, commissaire de l’exposition. Un homme qui tournerait le dos aux excès de l’ère industrielle et rationnelle pour revenir dans le giron des forces de la Nature – terre fécondatrice et regénérante par excellence.
L’intérêt de Jackson Pollock dans la culture amérindienne remonte à ses onze ans, lorsqu’il découvre les motifs abstraits de l’art primitif des Indiens d’Amérique, en visitant une réserve. Trois ans, plus tard, il observe en Californie les fresques du peintre muraliste mexicain José Clemente Orozco. Jackson s’inscrit alors aux cours du soir du peintre Thomas Hart Benton qui travaille avec Orozco à la réalisation de fresques. Les premières oeuvres de l’artiste marquent cette influence mexicaine (cf. Composition with vertical stripe, vers 1934-35).
Jackson Pollock va s’émanciper de l’enseignement de ses mentors, qui ne croyaient guère en son potentiel artistique, en trouvant ses propres sujets de prédilection dans les rituels chamaniques. Pour cela, deux expositions fondamentales vont marquer son inspiration créatrice. La première a lieu en 1941 au Museum of Modern Art, à New York, sur l’art préhistorique amérindien. A l’entrée du musée, Jackson Pollock observe les artistes indiens qui créent des peintures de sable avant de les détruire pour recommencer le lendemain. Une création rituelle et générative qui incite Pollock à poursuivre sa quête personnelle et artistique dans la voie d’une « constante métamorphose, sur un équilibre dynamique où les forces destructives de sa personnalité et de la société pouvaient être canalisées et transformées en harmonie et en actions positives » (Stephen Polcari). Ce principe de la nature humaine naturelle se retrouve chez Henri Bergson dans l’expression « évolution créatrice » et chez Carl Jung. Or, Jackson a entrepris une thérapie jungienne pendant quatre ans et a déclaré: « Nous sommes tous influencés par Jung. Je suis jungien depuis longtemps ».
La deuxième exposition se tient au MoMA en 1946 avec pour thème l’Art des Mers du sud. Première grande exposition d’après-guerre qui draîne les foules car c’était la première fois que des pièces océaniennes étaient exposées en Amérique. Dans une lettre écrite à son ami peintre Louis Bunce (1907-83), J. Pollock écrit: « L’exposition des îles du Pacifique au Museum of Modern Art […] dépasse tout ce qui est venu ici depuis les quatre dernières années ». C’est à dire depuis l’exposition de 1941 qui l’avait tant marquée.
Une oeuvre océanienne attire en particulier l’artiste: un panneau en bois tropical sculpté, long de 167 cm, provenant de la région Sepik (Nouvelle-Guinée). Une sculpture verticale plate mais dont les courbes envahissent la surface tout en laissant quelques trous comme pour laisser respirer l’oeuvre. D’où les formes circulaires de Birth (1938-41), qui s’entrecoisent pour former comme un totem indien. Un art qui suggère le renouveau de la vie, grâce à la transformation positive.
Pour accéder à cette métamorphose, Jackson s’appuie sur les rites initiatiques que subit le chaman et qui font de lui une personne différente de « l’homme des masses ». « Il a la vision du démembrement de son corps, et de sa chair raclée jusqu’au squelette [cf. Bald Woman with Skeleton, vers 1938-41]. Il séjourne dans le monde ‘d’en bas’, durant lequel il reçoit l’enseignement des esprits, des âmes des chamans morts et des forces obscures, avant d’accéder à un niveau plus élevé » (Fritz Bultman, cité par W. Jackson Rushing – l’universitaire qui a révélé l’intérêt de Pollock pour le chamanisme, précise le commissaire de l’exposition).
L’initié (le futur chaman) sacrifie son moi profane au cours d’un rituel qui va l’illuminer afin qu’il puisse voir dans l’obscurité, prédire l’avenir et lire les secrets d’un autre homme, explique un chaman Inuit.
Pour renaître après le sacrifice, l’initié fusionne avec un esprit animal, généralement un oiseau, un fauve, ou un serpent, dont les forces permettent à l’homme d’accroître ses capacités (rite d’incorporation) et de ne plus être réduit à sa seule dimension rationnelle. Il peut alors communier avec la nature, interférer avec le « filet de la puissance » – l’énergie qui imprègne chaque élément de l’univers et anime le cosmos – grâce à l’extase.
Picturalement, Pollock exprime cette fusion par l’art des drippings (peinture projetée par couleurs ou égoutée). Ici, la forme figurative se substitue pour laisser place à des gouttes qui incarnent, dans la culture amérindienne, des graines – symbole d’une vie nouvelle – ou des gouttes de pluie – perçues comme des graines permettant de féconder le sol. Les drippings chez Pollock traduisent la chaleur mystique, la fusion entre le masculin et le féminin, une force immatérielle donc – d’où la nécessité de l’abstraction (littéralement, l’absence de sujet) – seulement visible aux initiés. Et, c’est là tout l’enjeu de cette surprenante exposition: montrer que l’oeuvre dite abstraite de Pollock ne l’est fondamentalement pas! Elle ne donne que l’illusion de l’abstraction.
L’exposition « Jackson Pollock et le chamanisme » est présentée en même temps que l’oeuvre mystique de Georges Rouault. « La juxtaposition de ces expositions montre ainsi qu’en tous points de la planète les préoccupations des grands artistes sont finalement très semblables », analyse Marc Restellini, directeur de la Pinacothèque de Paris.
Deux expositions éclairantes, qui participent à une relecture fascinante de l’histoire de l’art.
Pollock a t’il été influencé par un artiste (je pense à Max Ernst) pour ces dripping ?
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Superbe article ! Bravo et Merci !
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