Entre écrire et voir, le travail du critique

Bettina Rheims. Portrait de Bernard Lamarche-Vadel (c) Bettina RheimsDans l’oeil du critique, Bernard Lamarche-Vadel et les artistes

Jusqu’au 6 septembre 2009

Musée d’Art moderne de la Ville de Paris, 11, avenue du Président Wilson 75116, 5€

Exposition, analyse, lecture et écoute. « Dans l’oeil du critique », présentée au musée d’Art moderne de la Ville de Paris, propose une réflexion d’ensemble, multi-sensorielle, sur le rôle du critique à travers le cas particulier de Bernard Lamarche-Vadel (1949-2000). Personnalité hors du commun, celui que l’on surnomme BLV, s’attache à défendre des artistes dont l’existence est intimement liée à leurs oeuvres et qui ont pour seul point commun leur anonymat. Tous se vendent à prix d’or aujourd’hui.

Arman, Martin Barré, Helmut Newton, Joseph Beuys, Richard Serra, Robert Combas, Mario Merz… figurent parmi les artistes, qui ont émergé sur la scène française grâce à B. Lamarche-Vadel.

L’exposition présente une sélection des oeuvres de ces artistes, dispatchées comme dans un cabinet de curiosité et de lecture. Les écrits de BLV, défendant ses positions par rapport aux oeuvres accrochées, sont reliés sous forme de minces cachiers, disposés sur la crête de canapés. Pour inviter le public à s’assoir et les parcourir.
Une petite salle annexe en fin de parcours est uniquement consacrée à la photographie, medium auquel s’intéresse Lamarche-Vadel dans les années 1980.
Enfin, un « cabinet de merveilles » reconstitue sa bibliothèque-bureau, où il recevait les artistes venus lui présenter leurs oeuvres. Chaque livre est symbolisé par son titre inscrit verticalement, telle une reliure. Quelques oeuvres encadrées représentent ses favorites. Y compris celles dressant son portrait, qui ont aidé à construire sa légende.

Bernard Lamarche-Vadel naît en 1949 à Avallon (Yonne). A 17 ans, il quitte le domicile familial pour Paris.
Le jeune homme reprend des études en 1970 à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes en sociologie de l’art. Puis, il enseigne la littérature française à Paris VII (1971-72) avant de passer professeur d’histoire de l’art et de sociologie de l’art à Paris I Sorbonne (1972-73).

BLV publie ses premiers écrits – des critiques dans la revue Opus International. Il dirige la série « S », consacrée à l’esthétique, de la collection 10/18 chez Christian Bourgeois. Il fréquente régulièrement Jean-Pierre Pincemin, Jean Degottex, Gérard Gasiorowski.
En 1978, Lamarche-Vadel est nommé commissaire de l’exposition « Abstraction analytique » à l’ARC (Animation Recherche Confrontation), musée d’Art moderne de la Ville de Paris.

Entre 1979 et 1982, il fonde et dirige la revue mensuelle Artistes. Le critique met l’accent sur les entretiens, la reproduction d’oeuvres en pleine page, dans une mise en page sobre dont Hervé Perdriolle a la charge. La scène internationale y figure (Mario Merz, Frank Stella, Barry Flanagan), les grands noms côtoient les petits (Roy Lichtenstein, Bernard Frize). Le tout est complété par des compte-rendus d’exposition et de livres de science humaines. Les éditos sont militants et foncièrement opposés à l’institutionalisation de l’art et les coteries.

Robert Combas. José Nez cassé, 1980. Peinture sur papier marouflé sur toile libre. Collection Lambert en Avignon (c) Adagp, Paris 2009En 1981, Lamarche-Vadel devient le directeur artistique de la Galerie de France. Il y organise l’exposition « La photographie dans le paysage ». Elle marque le début de son intérêt dans le domaine.
Cette même année, il met en scène « Finir en beauté », qui réunit Jean-Michel Alberola, François Boisrond, Robert Combas, Hervé di Rosa, Jean-François Maurige, Catherine Viollet, dans son loft parisien (rue Fondary, 15e) vidé. « En échange, les artistes devaient l’aider à déménager. BLV avait une relation personnelle avec ceux qu’il défendait », précise le commissaire de l’exposition, Sébastien Gokalp.
Georges Rousse photographie l’accrochage. Le groupe Kas product donne un concert. Une soirée réussie qui permet aux artistes de trouver rapidement des galeristes. Ben regroupe les artistes exposés sous le nom de « Figuration libre ». Etant contre la consitution de mouvement, Lamarche-Vadel ne suit pas l’aventure. Pierre Nahon, directeur artistique de la Galerie Beaubourg, confie dans un entretien (cf. catalogue de l’exposition): « ‘Finir en beauté » fut un coup d’éclat, il [BLV] était connu d’un tout petit milieu, et soudain sa notoriété s’élargissait ».

Cinq ans plus tard, Lamarche-Vadel réunit onze artistes français alors que le monde de l’art découvre la scène européenne. Martin Barré, Jean-Pierre Bertrand, Eric Dietman, Robert Filliou, Gérard Garouste, Gérard Gasiorowski, Jean-Olivier Hucleux, Roman Opalka, Pierre Klossowski, Jean-Michel Sanejouand, Jacques Villeglé exposent dans « Qu’est-ce que l’art français? » (1986). Le titre annonce la diversité de forme des oeuvres présentées. Si l’exposition ne fait pas grand tabac, elle offre néanmoins un nouveau départ aux artistes.

Entre 1981 et 2000, l’année de son suicide au château de la Rongère (Mayenne), Bernard Lamarche-Vadel collectionne la photographie qui prend son envol muséal avec l’arrivée de Jack Lang au ministère de la Culture. Le medium est défini comme une « priorité culturelle ». Pourtant, BLV, fidèle à ses principes, ne s’accorde pas avec le consensus institutionnel. Pour le critique, qui se considère comme un artiste à part entière, la démocratisation de l’art et en particulier de la photographie correspond à « un appauvrissement de son statut et de sa perception, au motif que les classes moyennes dont les goûts, les idéaux et les jugements contrôlent exclusivement les processus généraux de symbolisation globale ont opté pour la qualification culturelle de toutes les pratiques humaines, ce qui revient à dire que n’importe qui et déjà n’importe quoi est culture par l’artifice d’une projection de la société dans la perspective du musée où son sommeil est bercé par la récitation de ses histoires et de son passé pour son histoire » (Photographie française: 20 ans, Lignes de mire). Marie Gautier, résume dans le catalogue de l’exposition, dans un style plus concis et moderne: « Il refuse le tout culturel qui participe au nivellement par le bas de la culture ».

En 1994, BLV reçoit le Goncourt du premier roman pour Vétérinaires (publié en 1993, chez Gallimard). Dans ses nouvelles comme L’art, le suicide, la princesse et son agonie, comme dans ses romans, l’écrivain mêle intimement les oeuvres et les artistes (Joseph Beuys, Emil Nolde, Charlotte Salmon) à son écriture. Complexe, alambiquée, imprégnée de tournures du XVIIe siècle, défendant un style aristocratique. « BLV les [ses positions aristocratiques] revendiquaient contre les tentations démagogiques qui pullulent dans le milieu de l’art. Elles lui ont valu une réputation ambiguë, celle d’un écrivain élitiste, d’un châtelain enfermé dans sa tour d’ivoire », commente Nicolas Bourriaud (cf. catalogue de l’exposition).

Critiqué pour ses attaques contre « le triomphe des classes moyennes » à l’origine « du déclin général de l’art en France depuis 1960 », BLV se retire dans son château (1999-2000). Il s’intéresse plus à la photographie qu’à l’art contemporain. Même s’il continue à défendre quelques jeunes artistes alternatifs (Yvan Salomone qui pratique l’aquarelle à contre-courant, Maurice Blaussyld, dont l’exigence absolue lui rappelle celle de Beuys) et conseille des galeries moins liées au marché de l’art (galerie Météo).

« Dans l’oeil du critique » révèle les multiples facettes d’un « artiste, ‘fils de Beuys’, dandy mondain, grand séducteur toujours en costume cravate, Rastignac des temps modernes; gentilhomme campagnard en son château » (S. Gokalp). Qui est aussi commissaire d’exposition, théoricien, critique, collectionneur, poète. Une exposition hommage aussi dense que l’était son auteur.

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