Empreinte, trace, signe et écriture

Moulage de tablette Rongo Rongo. Musée Ethnologique des Musées du VaticanEcritures silencieuses

Jusqu’au 23 août 2009

Espace culturel Louis Vuitton, 60, rue de Bassano 75008, Entrée libre

A partir du prêt exceptionnel de trois des tablettes d’écritures Rongo Rongo, conservées au musée du Vatican depuis 1925, l’espace culturel Louis Vuitton organise une exposition sur le thème des écritures silencieuses. Ces tablettes, réalisées entre le XVIIe et le XIXe siècle, restent à ce jour indéchiffrables. D’où l’idée de réunir des artistes contemporains autour des notions de traces, signes – d' »écriture silencieuses ».

Découverte en 1722, l’île de Pâques – Rapa Nui en Polynésien -, située à plus de 3500 km des côtes de l’Amérique du Sud, est entourée de mystères. Ses premiers habitants, venus de Polynésie, ont peuplé l’île vers 400 ans avant J.-C.. Pour une raison encore inconnue, ils érigent des statues géantes de pierres volcaniques, appelées moai. Elles incarneraient leurs ancêtres ancestraux, assimilés aux dieux protecteurs.

Au XIXe siècle, l’île est accostée par les Occidentaux. En 1888, Rapa Nui passe sous domination chilienne. Les tablettes Rongo Rongo sont découvertes par un missionnaire à la fin du XIXe siècle. Elles sont depuis restées fermées à toute interprétation. Certains experts avancent l’hypothèse qu’il s’agirait d’une adaptation des livres d’écriture apportés par les navigateurs européens. Pour Alfred Métraux (1902-1963), ethnologue franco-suisse, les tablettes (kohau rongorongo) représenteraient des bâtons que récitaient les conteurs des îles Marquise  – ces « Homère des antipodes » -, en scandant de leurs cannes des récits mythiques et des lignées généalogiques. La seule chose sûre est que les Pascuans vénèraient ces tablettes et leur prêtaient des propriétés magiques.

« Message crypté, instrument de mémoire ou simple matérialisation du récit déclamé devant l’assistance, l’écriture Rongo Rongo constituait l’identité du peuple Rapa Nui », affirme l’historienne d’art, Bérénice Geoffroy-Schneiter.
« Lorsque les hommes en âge de travailler furent déportés au Pérou entre 1862 et 1864, son ‘alphabet muet’ disparut en même temps que l’élite capable de le déchiffrer. Aux artistes de s’emparer désormais de son envoûtante beauté… »

Pour le Sud-Africain Robin Rhode (né en 1976 à Cape Town) l’empreinte se traduit par l’expression d’un geste. Il réalise des chorégraphies dans lequelles il se met en scène, cagoulé et costumé de noir, chemise et mains blanches. Il investit les murs à la craie blanche, au fusain ou à la peinture industrielle noire, pour inventer un récit de formes calligraphiques. Aussi rythmiques que le hip hop.

Idris Khan, Quartet for the End of Time, 2008. Courtesy Idris Khan and Galerie Yvon LambertMusicalité de l’empreinte également pour Idris Khan (né en 1978 à Birmimgham). L’artiste signe Quartet for the End of Time (2008) – une pièce monumentale composée d’acier découpé, exposé aux intempéries et sablé pour exprimer le passage du temps. Ses facettes sont recouvertes de portées qui se superposent, rendant leur lecture impossible.

Notion d’indéchiffrable que l’on retrouve à la fois chez Claude Closky (né en 1963 à Paris) et Ni Haifeng (né en 1964 à Zhoushan, Chine). Le premier invente 74 caractères aux 26 lettres de l’alphabet latin. « Si les 26 premières [lettres] sont lues mais difficiles à voir, les 70 suivantes sont vues car impossibles à lire », commente Gilles de Bure, critique d’art, responsable des textes de l’exposition. Les nouveaux caractères sont constitués d’un maximum de quatre traits, comme dans l’alphabet latin, non figuratifs et dénués de motif ornemental. Ils respectent la norme du créateur typographe du XVIIIe siècle, Giambattista Bodoni: la « régularité, la netteté, le bon goût et le charme ».

Ni Haifeng, Xeno-Writings, 2003-2008 (c) Courtesy Ni Haifeng and Arario, Beijing GalleryNi Haifeng, quant à lui, mixe dans Xeno-Writings (2003-2008) ses trois media de prédilection – installation, photo et vidéo. Une pyramide de livres forme une bibliothèque de Babel. Sur le dos des livres est projetée une vidéo représentant une main en train d’écrire. Non pas des mots, mais des chiffres, ce qui rend la lecture incompréhensible. Peu importe, ce qui compte pour l’artiste est de laisser sa trace sur la connaissance.

Giuseppe Penone, Scrigno (détail), 2008. Museo d'Arte Moderna di Bologna. Photo credit Matteo MontiGiuseppe Penone (né en 1947 à Garessio, Italie) réalise une gigantesque empreinte, moulée sur un tronc d’arbre, dont il a coulé la sève en bronze. Membre du groupe de l’Arte Povera, l’artiste aime mélanger le naturel et l’artifice. Il travaille sur la notion de métamorphose et fait dialoguer la nature avec la culture.

Charles Sandison, Cryptozoology, 2006. Courtesy Charles Sandison and Galerie Yvon LambertTelle une grotte de Lascaux envahie de mots qui se superposent de façon aléatoire, Cryptozoology de Charles Sandison (l’artiste avait recouvert la façade du Grand Palais lors de la manifestation Dans la nuit, des images, en décembre 2008)  illustre la passion de l’artiste pour la création de langage à partir de programmes informatiques et d’algorythmes. Il les projette dans des espaces souvent obscurcis. C. Sandison mène une réflexion sur les phénomènes de territorialisation des pouvoirs et des savoirs.

Sun7, Emilie. Courtesy of Studio55Autre maillage de mots: ceux du graffeur Sun7 (né en 1977 à Paris). Individuellement indéchiffrables, les termes forment dans leur ensemble des portraits et des autoportraits tout à fait reconnaissables. « Portraits évidents et textes codés, soit un jeu subtil d’apparition/disparition », relève le commissaire de l’exposition, Hervé Mikaeloff.

Une exposition conceptuelle qui laisse néanmoins la part belle au sensible, à l’exploration sensorielle. De la poésie, des images, du silence. Envoûtant.

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