Carte blanche collective

Affiche de l'exposition 'En mai fais ce qu'il te plaît!' au musée Bourdelle, Paris, 2010En mai, fais ce qu’il te plaît!

Jusqu’au 19 septembre 2010

Musée Bourdelle, 18 rue Antoine Bourdelle 75015, 7€

Le titre de l’exposition vous surprendra et j’avoue avoir tardé à m’y être rendue! Mais grand bien m’en a pris car rien de mieux que la flânerie du mois d’août pour apprécier cette exposition d’art contemporain qui nous balade à travers l’ensemble du musée, jardin et sous-sol compris.

Le musée Bourdelle poursuit sa politique d’art contemporain, entamée par Juliette Laffon (Directrice du musée) depuis 2004. Mais, cet été, il innove avec une proposition collective.
Carte blanche a été laissée à quatre femmes et sept hommes, tous de pointure internationale. Elisabeth Ballet, Tania Mouraud, Ann Veronica Janssens, Jannis Kounellis, Christian Boltanski, Richard Deacon, Hans-Peter Feldman, Claude Lévêque, Jean-Luc Moulène, ORLAN et Kees Visser présentent chacun une oeuvre qui fait écho au travail de Bourdelle et à l’espace d’exposition.

Ann Veronica Janssens. Sans titre (Martin, Mac 2000 Performance), 2009. Courtesy Galerie Air de Paris (c) Adagp, Paris 2010 / Photo André MorinChaque artiste a pu choisir le lieu de son intervention. E. Ballet, C. Boltanski, R. Deacon, C. Lévêque, K. Visser ont d’abord sélectionné l’espace de leur oeuvre avant de la réaliser. Tandis que ORLAN, J. Kounellis, J.-L. Moulène ont concrétisé leur projet avant de lui trouver une place au sein du musée. Quant à T. Mouraud et A.V. Janssens, la nature de leur oeuvre (film) nécessitait une salle obscure.

C. Boltanski ouvre le bal avec une dizaine de vieilles chaises en bois entreprosées sous les arcades, face au jardin du musée. Il invite le visiteur à contempler les oeuvres extérieures de Bourdelle. Mais, oh! surprise, des voix s’échappent de ces chaises « parlantes » et brisent la sérénité du lieu en posant des questions existentielles: « Qu’as-tu fait de ta vie? », « Qu’as-tu fait de ton talent? » Rien que ça!  Toujours prompt à réveiller la mémoire individuelle et collective, son oeuvre, intitulée Questions (2010) rappelle sa dernière intervention au MAC / VAL, Après (qui elle-même évoquait son installation Personnes pour Monumenta). Le visiteur traversait un rideau pour entrer dans le monde de l’ombre où des sculptures-autels posaient inlassablement une question commençant par « dis-moi » (« dis-moi, cela a-t-il été douloureux? », « dis-moi quand cela est-il arrivé? »). Au visiteur de dialoguer avec lui-même pour répondre à ces dérangeantes questions. Par contraste, les sculptures monumentales de Bourdelle paraissent plus humaines!

Dans le Hall des plâtres, ORLAN présentent trois sculptures drapées – peinte en blanc, dorée à la feuille d’or ou à la feuille de palladium (couleur argent). Pour Thierry Dufrêne (Directeur du Centre de Recherce en Histoire de l’Art et Histoire des Représentations à Paris-Nanterre), ces Versions élaborées sans moule, de la série Différence(s) et Répétition(s) évoquent l’Italie baroque, « celle des Assomptions ». Elles s’inscrivent dans la thématique du corps, du sacré et de la féminité que l’artiste développe depuis les années 1980. Là aussi, le travail contemporain joue du contraste par rapport aux oeuvres de Bourdelle. « Les lances et les épées tendues, les muscles bandés de la cohorte des guerriers, le râle des héros et la cadence martiale des occupants habituels du Hall des plâtres s’épuisent à contredire la lente et florale expansion en nappes des robes dérobées à la pesanteur » (T. Dufrêne).

S’ensuit la critique esthétique de Jean-Luc Moulène. Qu’est-ce que la beauté, le canon féminin, à l’heure de la chirurgie esthétique et du botox? L’artiste reprend La Nudité des Fruits (1906) de Bourdelle pour lui confronter sa version retouchée, Les Fruits (Noyaux), à l’esthétique Paris Hilton, autrement dit, poupée Barbie. Une manière de railler cette tendance moderne qui réduit systématiquement le corps à son image, l’esprit à la pensée pré-mâchée.
Par ailleurs, l’artiste s’amuse – car Jean-Luc Moulène ne se prend pas au sérieux, il pratique son art avec recul et humour – à copier le marcottage, cher à Bourdelle et Rodin. Cette pratique consiste à associer des morceaux de sculptures anciennes, pour créer une oeuvre nouvelle. Dans Dos, il assemble quatre dos de sculptures de Bourdelle (Baigneuse accroupie, 1906; Adam, 1889; Guerrier allongé au glaive, 1894-1900; La Première Victoire d’Hannibal, 1885).

Dans la même veine, Hans-Peter Feldmann reprend le célèbre et viril David de Michel-Ange – sculpteur fétiche de Bourdelle dans sa jeunesse – pour lui opposer une version féminisée, cheveux dorés et yeux turquoises. La sculpture est entourée de ses photographies de fleurs aux couleurs acidulées.

Un univers qui appelle à l’ensencement de la nature, à l’opposé de l’oeuvre de Tania Mouraud qui interpelle les consciences: l’homme moderne gaspille trop. Artiste militante (cf. sa vidéo Ad Infinitum sur les baleines du golfe du Mexique, 2009), T. Mouraud présente ici Face to Face (2009). Le film montre en boucle des images de la plus importante casse en Europe, à Duisbourg. « En filmant ces rebuts, leur beauté, leur étrangeté, je souhaite que le visiteur soit à la fois attiré et interpellé par les images et le son. Je souhaite rendre palpable l’accumulation de déchets du quotidien, de notre civilisation de la consommation, montrer le ‘backstage’, ce qu’elle génère sans pathos et sans condescendance ».

Claude Lévêque. L'Ile au trésor, 2010. Courtesy de l'artiste et galerie Kamel Mennour, Paris (c) Adagp, Paris 2010 / Photo André MorinMais l’homme moderne n’aime pas être rappelé à ses responsabilités. Il leur préfère son éternelle jeunesse et ses rêves d’enfant. Claude Lévêque imagine L’Ile au trésor, hommage aux photographies nocturnes que Bourdelle prenait de ses sculptures dans son atelier. L’artiste met en place une installation sonore et lumineuse qui illumine l’ensemble de la réserve des moules à pièces, utilisés autrefois pour la fabrication des bronzes, et des plâtres de fondeurs. Le visiteur déambule dans le sous-sol semi-obscur, perturbé deci delà par l’éclairage coloré de fragments de sculptures. A la recherche d’un trésor, dans un climat quelque peu inquiétant, excité comme un enfant par l’odeur du risque.

« En mai fais ce qu’il te plaît » offre une promenade entre raison et sens, contrôle et improvisation, art classique et contemporain. Une exposition à la fois centrifuge, de part la variété des supports et des styles artistiques mis en scène, et centripète – l’ensemble des oeuvres fait autant écho aux oeuvres de Bourdelle qu’elles ne s’envoient des clins d’oeil ou des éclairs entre-elles. Multiple et unique. En un mot fédératrice. Un must de cet été.

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