« Comme nous n’avons plus du tout de charbon, nous allons partir ma femme et moi pour un mois en Algérie » conte Jean Dubuffet en 1947

Jean DUBUFFET, Bédouin, février-avril 1947. Gouache, 28 x 22 cm. Coll. privéeCarnets de voyages: Jean Dubuffet au Sahara

Jusqu’au 30 avril 2008

Fondation Dubuffet, 137, rue de Sèvres 75006, 01 47 34 19 51, 4€

La Fondation Dubuffet ouvre son exposition annuelle sur les croquis réalisés par Jean Dubuffet dans le désert du Sahara. Tous ces carnets de voyage (à l’exception de celui donné par l’artiste au MoMA) sont ici présentés. Une dominance de rouge et d’or qui réchauffe les coeurs.


En février 1947, le charbon manque à Paris. La Communauté de l’Acier et du Charbon n’est pas encore née (1951) et le plan Marshall ne prendra effet qu’en juin 1947. Pour avoir chaud, Jean Dubuffet part en Afrique, en bateau depuis Marseille, avec sa femme Lili. Il connaît déjà l’Algérie pour l’avoir fréquentée dans le cadre de son commerce de vins.

Mais il fait froid aussi à Alger!

Les deux toutereaux descendent donc en autocar plus au sud pour s’arrêter trois semaines dans l’oasis d’El Goléa. « Je suis resté jusqu’à maintenant sans travailler du tout mais depuis hier [4 mars] je fonctionne », écrit Jean Dubuffet. « Mais c’est entreprise sans espoir car il faudrait […] un bon nombre au moins de mois pour mettre au point la façon d’exprimer chaque élément – le sable – le soleil – le teint des visages des hommes – leurs vêtements – le soleil – les chameaux – les palmiers etc. et puis accoder ces éléments les uns avec les autres ».

Jean DUBUFFET, Arabes avec traces de pas, janvier-avril 1948. Gouache et encre de Chine, 31 x 40,5 cm. Fondation Dubuffet, ParisDe fait, les croquis du premier voyage de Dubuffet au Sahara (février-mars 1947) expriment son tâtonnement pour représenter le corps des Arabes (parfois de simples boules comme en font les enfants), leurs barbes typiques, leurs pas dans le sable. « C’est ravissant les empreintes de pieds, moulés dans le sable fin comme du plâtre ». Empreintes de main (fatma) aussi.

Jean Dubuffet au Sahara, 1948De retour à Paris, le couple ne rêve que de repartir. « Nous avons adopté le genre arabisant à outrance, et avons vécu tout ce temps dans la compagnie à peu près exclusive des indigènes et en avons été bien récompensés car nous revenons de là bien nettoyés des intoxications, bien rafraîchis et renouvelés et fort enrichis dans les voies du savoir-vivre ».

L’artiste voudrait échapper à sa condition d’homme occidental, dont la culture n’est pour lui qu’une « langue morte », dissociée de la vraie vie. Il s’évertue à apprendre l’arabe, dans l’optique d’un second voyage (novembre 1947-avril 1948). Mais surtout, pour parvenir à « peindre en arabe ».

Alors que le couple avait prévu d’atteindre cette seconde fois Fort Lamy (Ndjamena) au Tchad, ils renoncent à poursuivre leur voyage pour s’arrêter à Tamanrasset (Hoggar). « Ici population complètement extravagante peinte en bleu », commente-t-il. « Les touaregs tiennent du chevalier Tristan, du guerrier samouraï, de la statue du Commandeur ».

Jean DUBUFFET, Chameau entravé, janvier-avril 1948. Gouache, 32 x 24 cm. Coll. privée, ParisDe retour à El Goléa, Jean Dubuffet s’enferme dans un petit local pour peindre. Il veut réaliser plastiquement ce que ses sens observent lors de ses petites promenades durant lesquelles il étudie les gestes, les mouvements, les habits, les chameaux, les chèvres, les ânes, etc.. Il réalise de nombreuses gouaches et petites peintures à la colle, des croquis au crayon, à l’encre, des dessins aux crayons de couleur prêtés par l’instituteur local.

Jean DUBUFFET, Le burnous au vent, janvier-avril 1948. Peinture à la colle sur papier, 45,5 x 25,5 cm. Fondation Dubuffet, Paris« Le froid a cessé… L’arabe jette son burnous et sort en gandoura et son aspect est celui du clown pailleté… C’est ce sable par terre qui ramène toujours la pensée à la piste de cirque ».

Début mars 1949 (jusqu’au mois de mai), Dubuffet retourne une dernière fois en Algérie. Mais sa promiscuité avec les Bédouins fait tomber ses illusions sur la communication entres cultures différentes.

A son retour à Paris, il écrit « Ce n’est pas des empreintes de pieds nus dans le sable que cette année je peignais au désert mais des petits paysages du genre campagne de France, probablement par esprit de contradiction, que j’ai très fort par malheur ». C’est le début des Paysages grotesques – des paysages déracinés, indéfinis, prototypes de n’importe quel paysage.

De ses voyages dans le désert, Jean Dubuffet résume: « Ce sont des voyages éprouvants, des séjours pénibles assurément… mais profitables, je crois, cures pour l’esprit, sévères leçons. Du genre de l’électrochoc ». Le nécessaire besoin de tout homme, qui plus est artiste.

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