La quête d’immortalité

Dieux des murs et des fossés de toutes les commanderies et dieux du sol de tous les districts. Dynastie Ming, vers 1600. Rouleau vertical, encre, couleurs et or sur papier. Musée des Arts asiatiques Guimet, Paris (c) Rmn / Thierry OllivierLa Voie du Tao – Un autre chemin de l’Etre

Jusqu’au 05 juillet 2010
[fnac:http://plateforme.fnacspectacles.com/place-spectacle/manifestation/Exposition-LA-VOIE-DU-TAO-VOIE.htm]

Galeries nationales du Grand Palais, entrée Clémenceau, 75008, 11€

Certes le taoïsme (ou daoïsme), « religion » ancestrale chinoise s’adresse à qui veut bien la pratiquer. Mais en comprendre la voie – expression dont est issu le caractère chinois « Tao » -, les techniques et les pratiques, n’est pas donné au premier touriste occidental! L’exposition présentée au Grand Palais, en parallèle de Turner, tente, pour la première fois en Europe, de donner les bases de cette pensée à la fois philosophique, poétique. Autant que pragmatique, mystique et superstitieuse…


Ermite dans une grotte. Dynastie Qing, XVIIIe siècle. Rocher paysage, néphrite. Musée des Arts asiatiques Guimet, Paris (c) Rmn / Franck RauxPrésentée sous forme thématique et non chronologique, l’exposition rassemble une sélection des plus beaux objets issus des collections du musée Guimet, Paris, des manuscrits de la BnF et de prestigieuses institutions  étrangères (British Library, Londres; Victoria & Albert Museum, Londres; Museum für Ostasiatische Kunst, Cologne; National Museum of History, Tapei; Museum of Fine Arts, Boston etc.).

Vue de l'exposition. Scénograpie Agence Mostra (c) P.-O. Deschamps / Agence Vu pour la RmnLa scénographie (Agence Mostra) met particulièrement en valeur les concepts du taoïsme en offrant un parcours décloisonné qui permet de laisser circuler le qi – souffle (inspiration/expiration), énergie, qui se polarise en forces opposées du yin et du yang. S’inspirant de ce rythme binaire, les oeuvres regroupées au centre des salles contrastent avec la nudité des cimaises. Le rapport s’inverse dans la salle suivante. Enfin, pour répondre à la quête d’harmonie entre l’homme et la nature au coeur de la pratique taoïste, un gros effort a été fait pour utiliser des matériaux réutilisables et écologiques (ampoules LED, peintures sans solvant, vitrines en verre de synthèse et 100% recyclable, etc.).

Mais venons-en plus en détails aux origines de la pensée taoïste. C’est là que ça se complique car les cartels ne sont pas toujours d’un accès pédagogique aisé…

Le taoïsme n’est pas une religion au sens où il est inféodé à un unique dieu créateur comme les religions monothéistes occidentales. De l’observation du ciel est née une conception de l’univers qui, sans intervention extérieure, est passé du Un au deux, du deux au trois, et du trois à l’infinité des êtres.
La Grande Ourse et l’étoile polaire, situées au centre du ciel, distribuent le souffle primordial (yuanqi).
Chaque point cardinal, appelé « orient » est symbolisé par une divinité animalière: à l’Ouest, le Tigre blanc; à l’Est, le Dragon; au Nord, le Guerrier noir (une tortue enlacée par un serpent); au Sud, l’oiseau vermillon (le Phénix).
Au centre figure la couleur jaune, sans symbole animal, qui représente la terre.
Chaque divinité est soumise à la conception binaire du yin et du yang.

A la base de toute les dualités, le binôme yin-yang – l’un ne peut pas supplanter l’autre ; la quête de l’adepte taoïste réside précisément à équilibrer ces deux forces pour atteindre l’union originelle et donc l’immortalité – engendre d’autres combinaisons d’abord spatio-temporelles, puis musicales, gustatives, viscérales, etc. C’est la cosmologie dite corrélative. Ainsi, le Dragon (Est) est associé au bois/ vert/ printemps/ foie/ Jupiter/ aigre. Le Phénix (Sud) va de pair avec le feu/ rouge/ été/ coeur/ Mars/ amer. Le Tigre (Ouest) s’allie au métal/ blanc/ automne/ poumons/ Vénus/ âcre. Le Guerrier (Nord) incarne l’eau/ noir/ hiver/ reins/ Mercure/ salé. Le Centre symbolise la terre/ jaune/ septembre/ rate/ Saturne/ doux.

Laozi et Yin Xi, le gardien de la Passe: transmission du Livre de la Voie et de la Vertu. Dynastie Qing, période Daoguang (1821-1851). Vase maillet, porcelaine à émail rouge de fer. Musée des Arts asiatiques Guimet, Paris (c) Rmn / Thierry OllivierLe taoïsme aurait été fondé par Laozi, de son vrai nom Li Er. La légende rapporte que l’instabilité sociale, liée à l’affaiblissement du pouvoir de la cour impériale des Zhou, aurait incitée Laozi à fuir vers l’Ouest pour mener une vie d’ermite. Le gardien de la passe Hangu (au nord-est du district Lingbao au Henan) aurait remarqué l’arrivée par l’est de nuages pourpres – symboles de l’arrivée d’un sage. Peu après, Laozi, monté sur un buffle noir, se présente à la passe. Yin Xi accueille le sage et lui demande de l’initier au dao. Laozi en profite pour transcrire son enseignement sur papier. Ainsi naît le Daodejing ou Livre de la Voie et de la Vertu, composé de près de 5000 caractères. Il est considéré comme le texte fondateur du taoïsme. Ensuite, Laozi reprend son voyage vers l’Ouest et plus personne n’entend parler de lui. Sa date de mort présumée  est 531 av. J.-C. En 1993, les fouilles ont permis de découvrir à Guodian (dans le Hubei) une tombe qui recelait le plus vieil exemplaire du Daodejing, inscrit sur des fiches de bambou.

Zhang Daoling crée la première école taoïste à partir des écrits de Laozi. Celui-ci lui aurait rendu visite à Zhang pour conclure un pacte (zhengyi meng, « l’Un orthodoxe ») en 142 afin de sauver les êtres qui suivraient la doctrine taoïste de la décadence du monde. Zhang crée la Voie des Maîtres célestes (Tianshi Dao).

La seconde principale école taoïste chinoise est fondée en 1159 par Wang Chonggyang. L’école quanzhen (« Ecole de la Perfection totale » ou de la « Parfaite réalisation ») prône la voie de l’alchimie intérieure (neidan), centré sur le jeûne de l’esprit pour obtenir l’union avec le dao. Méditation, concentration, visualisation sont au coeur de la pratique. L’organisation est monastique et le célibat obligatoire.
Reconstitution des images peintes d'après les relevés. Original couleur sur soie. Musée des Arts asiatiques Guimet, Paris (c) RmnPour atteindre l’immortalité, cette ascèse intérieure se complète d’une alchimie extérieure (waidan): exercices physiques, diététique (absence de céréales, censées polluer le corps) et techniques du souffle.
Shouxing entouré de ses assistants (détail). Chen Hongshou (1598-1672). Dynastie Ming. Encre, couleurs sur soie (c) Musée Guimet, Paris, Dist. Rmn / Ghislain Vanneste / Thierry OllivierEn se concentrant pour vider son esprit de toutes les perceptions extérieures et en maîtrisant son souffle, l’adepte « parvient à la maîtrise du temps et peut opérer la régression qui donne naissance à l’embryon d’immortalité », commente Catherine Delacour, commissaire de l’exposition (conservateur en chef au musée national des Arts asiatiques Guimet).

Comme dans tout courant religieux, le taoïsme s’accompagne d’un panthéon de divinités, dominé par les Trois Purs (le Vénérable céleste du Commencent originel, Yuanshi tianzun; celui du Joyau précieux, Lingbao tianzun; et celui de la Voie et de sa Vertu, Daode tianzun).
Il y a également les Huit Immortels, qui, contrairement aux dieux du monde céleste antérieur, étaient des humains qui ont atteint l’immortalité. Grâce à la cueillette de simples, l’absorbion d’élixir [produit de la fusion d’ingrédients minéraux divers, dont le lingzhi ou amadouvier, bois réputé pour être démonifuge]. Et bien sûr, leurs bienfaits civils ou militaires. Leur nombre est en constante évolution. L’empereur de Jade préside ce panthéon des dieux du ciel postérieur.
L'Immortel Li Tieguai. Dynastie Qing, XIXe siècle. Stéatite veinée d'oxyde de fer. Musée des Arts asiatiques Guimet, Paris (c) Rmn / Thierry OllivierParmi les Immortels, Li Tieguai a la particularité d’avoir une origine obscure. Selon une des légendes, il aurait décidé un jour d’aller rendre visite à Laozi par son esprit. Son disciple devait brûler son corps s’il ne revenait pas dans les sept prochains jours. Mais ce dernier ne patienta que jusqu’au sixième jour. Lorsque l’esprit de Li Tieguai revient, il doit se glisser dans la dépouille d’un mendiant pour retrouver une enveloppe charnelle. D’où son apparence iconographique disgracieuse. La statue du musée Guimet (dynastie Qing, XIXe siècle) le représente appuyé sur un sceptre (ruyi). Les autres attributs traditionnels des Immortels sont la calebasse, le crapaud (symbole de longévité), et la chauve-souris (son nom fu est homophone du mot bonheur).

Brûle-parfum tripode. Dynastie Qing, XVIIIe siècle. Cuivre, émail cloisonné. Musée des Arts asiatiques Guimet, Paris (c) Rmn / Thierry OllivierLes cérémonies taoïstes peuvent durer plusieurs heures ou jours. Elles commencent systématiquement par la purification de l’aire sacrée, grâce à l’allumage du brûle-parfum, et se termine par son extinction. Les fumées d’encens sont considérées comme porteuses des prières humaines vers les dieux. « Leurs volutes étranges, configurations des énergies primordiales issues du corps du prêtre, dessinent des écrits célestes auxquels répondent les divinités ainsi immanquablement attirées vers l’autel », précise la commissaire de l’exposition (cf. catalogue de l’exposition). Danses, musique et récitations murmurées complètent le rite cérémoniel.

L’exposition présente des objets raffinés dont les chercheurs commencent seulement à étudier la symbolique. En effet, le taoïsme a souffert des affres de la révolution culturelle sous Mao et nombre de ses temples, manuscrits et trésors ont été détruits. Sans compter qu’auparavant, sa réputation était ternie par les polémiques liées aux disputes théologiques avec les bouddhistes. Il a même été soupçonné d’inspirer des rebellions populaires du fait de l’étendue de sa pratique dans la communauté chinoise. Enfin, à l’inverse du confucianisme, il ne dispose pas du statut de doctrine d’Etat. Ce n’est donc qu’en 1926 que l’ensemble des textes du canon taoïste a été transmis aux experts occidentaux.

La prise de conscience environnementale en Occident et la quête d’un mode de vie plus en respect avec la nature a permis de familiariser le public avec le mode de pensée orientale. Mais généralement, au-delà de la connaissance du joli graphisme du yin et du yang et de la pratique en extérieure des exercices de qigong, peu connaissent les fondements essentiels du taoïsme. Si certains principes restent obscurs à la sortie de l’exposition, elle permet une première approche en profondeur.

Pour compléter, justement, la part d’ombre laissée par l’exposition, je recommanderais le DVD co-produit par Arte, La Voie du Tao, le taoïsme ou l’art de l’immortalité, un film d’Yves Peretti. On y suit concrètement une jeune Française qui a tout quitté pour emprunter la voie du Tao. Son nouveau nom est Jing Xiu. Elle nous emmène visiter les temples, contempler les montagnes sacrées, rencontrer Maîtres et ermites. Nous voyageons de Pékin, au Temple des Nuages Blancs – centre officiel du taoïsme en Chine depuis 1980 -, au coeur du pays, dans les montagnes où Jing Xiu a été initiée. Magie des paysages, délicatesse des peintures chinoises, poésie des aphorismes. Et l’on saisit l’attrait que peut inspirer une éthique qui prône l’harmonie entre l’homme et la nature. Tout en se demandant comment la matérialité de la Chine moderne peut s’accomoder de ces pratiques ancestrales…

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