L’aimable cruauté
Jusqu’au 29 août 2022
Le Centre Pompidou consacre la première monographie en France à León Ferrari (1920-2013), artiste argentin à l’oeuvre protéiforme et irrévérencieuse.
L’exposition célèbre le centenaire de la naissance de l’artiste mais, covid oblige, son ouverture a été reportée. Pour finalement commencer en pleine actualité de guerre en Ukraine et d’élections françaises. Une coïncidence de l’Histoire qui lui apporte une résonance toute particulière.
Né à Buenos Aires de parents peintre et architecte d’églises, León Ferrari a vécu en Italie (1952-1955) où il a commencé sa pratique artistique avec des céramiques, qui ont été remarquées et soutenues par Lucio Fontana. Sa Femme inquiète (1961) – sorte d’Ève rectangulaire au corps éventré – s’inspire de l’abstraction milanaise alors en vogue. C’est à Milan qu’il composera ses premières sculptures en fil de fer soudé.
En 1955, il rentre à Buenos Aires. Ingénieur de formation, il reprend ce travail qui lui permet d’effectuer des recherches sur les couleurs pour la céramique et les composés chimiques utilisés dans la métallurgie.
Cette même année, un coup d’État militaire de la Révolution Libératrice évince Juan Domingo Perón du pouvoir et instaure une dictature militaire qui dure jusqu’en 1958.
Ferrari commence ses Lettres à un général (1963) composées de lettres déformées qui oscillent entre tableau abstrait et calligraphie. Certains mots sont reconnaissables, d’autres non. L’ensemble témoigne de l’oppression dictatoriale sur les civils.
1965 est une date clé dans la carrière de l’artiste. Il expose un bombardier américain faisant figure de croix sur lequel est cloué un Christ en bois (La civilisation occidentale et chrétienne). L’oeuvre, pour laquelle il recevra le Lion d’Or de la Biennale de Venise de 2007, est censurée. À partir de là, Ferrari se consacre à une pratique artistique politique.
Il participe à de nombreuses manifestations : hommage au Viêt-nam, au Che Guevara ; soutien aux travailleurs de l’industrie sucrière, au président chilien Salvador Allende ; opposition à la corruption du régime, à la venue de l’industriel et politicien américain Nelson Rockefeller, etc.
La dictature militaire étant soutenue par le pouvoir religieux, Ferrari devient un anticlérical farouche. Les oeuvres de cette période associent des collages mêlant représentations chrétiennes et emblèmes nazis. Dix ans plus tard, il ira jusqu’à faire déféquer des canaris sur une représentation du Jugement dernier de Michel-Ange et demander au Pape Jean-Paul II d’annuler les concepts de Jugement dernier et d’Enfer.
« […] Ce Jugement, donc, chanté, peint, sculpté, gravé, adoré et diffusé par les grands génies de l’Occident, est une synthèse et une encyclopédie inépuisable de la douleur que la justice chrétienne administre. C’est sur cette idée, qui a fécondé et nourrit notre culture, que les canaris ont servis à exprimer une opinion », avait déclaré l’artiste (1994).
Le titre de l’exposition se réfère à cette prise de position, selon laquelle, « l’art en Occident – sous prétexte du beau – banalise la violence », explique Nicolas Liucci-Goutnikov, commissaire de l’exposition. Alors que pour Ferrari, « L’art n’est ni beauté, ni nouveauté, mais efficacité et désordre. »
En 1976, la nouvelle dictature dirigée par le général Jorge Rafael Videla est responsable de la mort de 30 000 personnes, dont son propre fils, resté à Buenos Aires, tandis que lui-même a fui à Sao Paulo (Brésil).
Il débute la lithographie avec une série intitulée Heliographies (1980/81), qui illustre la folie du mode de vie urbain : échangeurs routiers ou spirales font tourner de petits personnages identiques en bourrique.
L’ensemble du parcours révèle une oeuvre engagée, provocatrice, décapante. À découvrir !