Céramiques d’Edo

Vase à fleur (ichirin-ike). Manufacture Banko, préfecture de Mie (province d'Ise), XVIIIe siècle. Grès, couverte vert céladon de style Banko seiji; sur l'épaule, décor moulé des huit trigrammes du livre de divination Yijing. Legs Henri Cernuschi, 1896 (c) Paris-Musées / Karin MaucotelQuatre siècles de céramique japonaise

Jusqu’au 04 juillet 2010

Musée Cernuschi, 7, avenue Vélasquez 75008, 6€

Présente-moi un vase en grès, je te dirai à quelle classe tu appartiens et à quelle époque tu vis. La nouvelle exposition du musée Cernuschi dévoile ainsi les usages et fonctions de la céramique d’Edo. Grâce à la datation et l’origine géographique d’une magnifique collection, rapportée par l’ancien maître des lieux.

Henri Cernuschi (1821-1896) a rassemblé quelque 1.600 pièces de céramique lors d’un voyage au Japon en 1871. Ou les a commandées peu après à son ami le négociant Fernando Meazza (1837/38-1913) qui vivait alors sur place.

Pot à thé en forme de baquet (teoke-gata-cha-ire). Raki IX Ryonyu (1756-1834), Kyoto, avant 1788. Terre cuite, glaçurée, style aka raku. Legs Henri Cernuschi, 1896 (c) Paris-Musées / Karin MaucotelLa collection se compose à raison d’un tiers de porcelaines et de deux tiers de grès et de poteries. Elle reflète un goût classique, porté sur les porcelaines anciennes. Elle compte également un nombre impotant de grès, de poteries décoratives et des objets destinés à la cérémonie du thé (chanoyu).

Elément essentiel de la culture japonaise, le thé, originellement le matcha, se prépare selon des règles strictes et requiert des ustensiles spécifiques. La poudre de thé vert est battue avec un fouet en bambou (chasen), diluée avec un peu d’eau, dans un bol en grès.
Cette prépration du thé (wabicha) engendre une production artisanale et géographique, étroitement liée à ceux qui la pratiquent: au XVIe siècle, la riche bourgeoisie de Sakai et les moines du puissant temple zen Daitokuji à Kyoto ; au XVIIe siècle, l’aristocratie militaire.
Le wabicha, vecteur des idéaux d’humilité et de frugalité, s’accompagne d’une cuisine légère et raffinée (kaiseki ryori), agrémentée dans des coupes dites mukozuke.

Avant l’époque d’Edo, la nourriture est disposée devant chaque convive sur des plateaux individuels (zen), comprenant un service en laque qui permet de conserver la chaleur.
A partir du XVIe et surtout au XVIIe siècle, une mode venue de l’étranger introduit le concept des banquets informels, où chacun se sert à volonté, dans de grands plats (ozara) ou bols (daibachi). Les mets sont généralement froids, accompagnés d’alcool et non de thé.

Bouteille en forme de calebasse (hisago-gata tokkuri). Arita (Imari), vers 1650. Porcelaine, décor peint en bleu sous la couverte. Legs Henri Cernuschi, 1896 (c) Paris-Musées / Karin MaucotelLes porcelaines japonaises proviennent de la région de Hizen, à Arita, et sont expédiées à partir du port d’Imari (île de Kyushu, au sud du Japon), ce qui leur vaut l’appelation de porcelaine dite Imari. Leurs motifs décoratifs reflètent une influence chinoise ou empruntent à la peinture japonaise du XVIIe siècle.
Deux autres styles de procédés décoratifs sont le plus largement exportés en Europe, en particulier entre 1650-1750, via la Compagnie hollandaise des Indes orientales (V.O.C.), et en Asie du Sud-Est. Il s’agit du Kakiemon (couleurs pâles) et du Sometsuke (bleu et blanc).
L’exportation de la céramique japonaise pèse ainsi dès la conception sur son style de création, puisqu’elle doit s’adapter à l’évolution du goût et des modes européens.

A partir du XVIIIe siècle, sous l’influence de la culture chinoise et la commercialisation croissante du kaolin, la fabrication de la porcelaine n’est plus l’apanage de Hizen ; elle s’étend au reste du Japon. Les céramistes de Kyoto se partagent entre ceux qui s’inscrivent dans la tradition du grès et de la poterie et ceux qui fabriquent des grès et des porcelaines. Ces derniers fabriquent des ustensiles destinés à la préparation du thé infusé (sencha), qui connaît un grand engouement au début du XIXe siècle. La culture du thé infusé est initiée par la classe des lettrés (bunjin), qui malgré la fermeture du pays, introduisent au Japon des coutumes étrangères, notamment dans la région de Nagasaki, seul port ouvert aux navires chinois et hollandais. Le sencha est servi dans des petites coupes (senchawan), après avoir été infusé dans une théière (kyusu). La coupelle ne contenant pas d’anse, elle se porte aux lèvres en positionnant une main sous le fond.
Ce style de préparation de thé s’accompagne d’une nouvelle cuisine végétarienne (fucharyori), autour du tofu (tofu ryori), ou encore d’inspiration sino-hollandaise (shippokuryori). Elle est servie dans de grands plats (ozara), décorés de symboles de bon augure et dans des bols (hachi).

Grand vase couvert (kazaritsubo) provenant d'une paire. Probablement Kato Mokuzaemon II, Seto début de la période de Meiji, entre 1870 et 1880. Porcelaine, décor peint en bleu sous la couverte, style sometsuke. Legs Henri Cernuschi, 1896 (c) Paris-Musées / Karin MaucotelAu XIXe siècle, les motifs les plus appréciés par les Européens et les Américains sont les décors floraux et les scènes de genre, mettant en scène des personnages issus de contes et légendes et considérés comme « typiquement Japonais ».
Mais Henri Cernushi s’est aussi intéressé aux okimono (objets ou sculptures placées à l’intérieur des demeures japonaises, dans des alcôves ou tokonoma). « C’est lui qui a lancé la mode des grès de Bizen dans le milieu des amateurs japonistes à Paris », commente Michel Maucuer, commissaire de l’exposition (conservateur en chef au musée Cernuschi).

Vase (kabin). Kiomizu Rokubei VI (1901-1980), Kyoto. Grès, décor à l'engobe blanc et aux couleurs de grand feu, de rameaux de pruniers en fleur, appelé 'annonce du printemps' (Haru no sakigake). Don de l'artiste, 1953 (c) Paris-Musées / Karin MaucotelUn siècle plus tard, la céramique japonaise tente de se libérer des contraintes de la production de masse et des méthodes industrielles en défendant l’artisanat, notamment au sein du mouvement mingei, et en se rapprochant des mouvements artistiques avant-gardiste.

Une très belle collection qui justifie la reconnaissance internationale de la céramique japonaise, dès le XVIe siècle et ce jusqu’à son apogée au XXe siècle. Il aurait été intéressant, néanmoins, d’avoir une ouverture en fin d’exposition sur son statut à l’aube du XXIe siècle…

A noter: Autour de l’exposition, une série de conférences de l’INALCO (Langues’ O). En particulier, « Les lettres, le thé et l’art à l’époque d’Edo » le jeudi 15/04/10 à 16h, par Michel Maucuer (Durée: 1h environ, entrée libre dans la limite des places disponibles, salle de conférences). Parallèlement, l’Espace Mitsukoshi-Etoile (3, rue de Tilsitt 75008) présente les céramiques du Samouraï-Homme d’Etat, Hosokawa Morihiro (Ancien Premier Ministre) jusqu’au 15 mai 2010.

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