Un maître danois du XVIIIe siècle à l’honneur du Louvre

Jupiter pèse le destin de l'homme, 1793. Huile sur toile. Ribe Kunstmuseum (c) Ribe KunstmuseumAbilgaard (1743-1809)

Jusqu’au 9 février 2009

[fnac:http://plateforme.fnacspectacles.com/place-spectacle/manifestation/Musee-MUSEE-DU-LOUVRE–merc—vend-soirs–MULO2.htm]

Musée du Louvre, Aile Sully, Entrée par la pyramide, 75001, 9€

Totalement inconnu en France et même au Danemark, son pays natal! Nicolaï Abilgaard (1743-1809) – artiste majeur de l’art nordique de la fin du XVIIIe siècle – mérite une exposition illustrant son oeuvre à la fois singulière et universelle. Peintre, architecte, dessinateur et décorateur, Abilgaard réalise une production qui s’inspire des idées des Lumières et de la Révolution française. Bien qu’il soit un citoyen de la monarchie absolue dano-norvégienne. Ce conflit d’intérêts va générer quelques couacs!


Rien ne laisse présager la carrière élitique du jeune Abilgaard, issu d’un milieu modeste. Son père, autodidacte et passionné de sciences naturelles, est chargé de faire des relevés d’après les principaux monuments des antiquités danoises. Seulement, l’érudition du pater n’apporte pas de ressources pécunières à la famille. Les deux fils doivent travailler pour payer leurs études. Christian devient vétérinaire; Albigaard entre à l’Académie royale des beaux-arts de Copenhague, qui fonctionne comme le modèle français: suprématie est donnée à la peinture d’Histoire.

Philoctète blessé, 1774/75. Huile sur toile. Copenhague, Statens Museum for Kunst (c) Statens Museum for Kunst / SMK-fotoAbilgaard parachève sa formation par le traditionnel voyage en Italie pour étudier les Grands Maîtres. Il y rencontre le sculpteur suédois Johann Heinrich Füssli (1741-1825), un romantique anglophile. Son influence se retrouve dans les oeuvres romaines d’Abilgaard, tel Philoctète blessé. Dans cette huile, Philoctète est représenté replié sur lui-même, tenant de sa main droite son pied blessé – il a été mordu par un serpent sur l’île de Chrysé -, le visage strié de douleur. Sa pose paraît sur-naturelle. Cette oeuvre incarne l’essence d’une nouvelle esthétique picturale, appelée Sturm und Drang (Tempête et Passion) – un mouvement mené par la jeune génération de peintres qui glorifie les destins funestes, la douleur, l’inquiétude et l’absence de compromis. Ils proposent une relecture de l’Antiquité, jusque-là idéalisée pour sa quête d’élévation, de noblesse et d’équilibre, en lui conférant une modernité par cette dimension du vécu personnel.

Après l’Italie, Abilgaard séjourne à Paris où il se familiarise avec l’oeuvre de Nicolas Poussin (1594-1665), dont il tient la peinture d’Histoire en haute estime.

De retour au Danemark, l’artiste joue un rôle important dans le développement du courant néoclassique. Ses oeuvres, bien que teintées de romantisme, s’élèvent dans les sphères intellectuelles de part leur sujet historique. De fait, Abilgaard est considéré comme le « peintre philosophe » de l’époque.

Mirabeau présentant la déclaration des Droits de l'Homme à Frédéric II, 1789/93. Crayon, plume, encre brune et lavis sur papier. Copenhague, Statens Museum for Kunst (c) Statens Museum for Kunst / SMK-fotoSon engagement politique en faveur des idéaux des Lumières, dont il s’imprègne lors de son séjour en France, s’exprime dans son dessin Mirabeau présentant la Déclaration des Droits de l’Homme à Frédéric II (1789/93), exhortant le monarque prusse à régner non plus pour mais par le peuple. Il porte par ailleurs un regard critique envers la religion.

L'Abolition de la résidence forcée en 1788. Esquisse non utilisée pour le portrait de Christian VII dans la salle d'honneur du château de Christiansborg. Huile sur toile. Copenhague, Statens Museum for Kunst (c) Statens Museum for Kunst / SMK-fotoSi la monarchie danoise penche vers un certain libéralisme dès 1784 – la satire est autorisée et Abilgaard s’empresse d’y recourir -, elle refuse au peintre son esquisse préparatoire à l’allégorie du règne de Christian VII. Officiellement pour des raisons économiques. Plus probablement, par désaccord politique.

En effet, l’esquisse d’Abilgaard représente un paysan, offrant une gerbe de blé au roi. Il est agenouillé aux pieds de son souverain, qui brise sur sa cuisse droite un joug,  signifiant la fin de la résidence forcée (stavnsbaand) – loi qui rive à vie tout paysan à la terre où il est né (elle sera finalement abolie en 1788).

Bien que pressentant la nécessité d’une telle réforme, les autorités royales n’entendent pas se couper l’herbe sous le pied et porter atteinte au pouvoir absolu du roi. Or, l’oeuvre d’Abilgaard, engageant à libérer la population paysanne de son assujettissement aux seigneurs et à la noblesse lance un signal libérateur. Le roi, atteint de schizophrénie, n’aurait pas été capable de résister à un tel assaut révolutionnaire. Abilgaard perd donc le projet de décoration de la salle d’honneur de la résidence royale, Christiansborg.

Dès lors, l’artiste doit se contenter de servir la maison royale pour des projets ponctuels, tel l’aménagement du palais Levetzau – la nouvelle résidence royale après l’incendie en 1794 de Christiansborg, qui détruit nombres d’oeuvres d’Abilgaard.

Chaise dorée de style grec. Musée des Arts décoratifs danois (c) Pernille KlempIl conçoit plusieurs meubles pour le futur roi Christian VIII et dessine du mobilier pour d’autres mécènes de Copenhague et lui-même. Parallèlement, l’artiste enseigne à l’Académie royale des beaux-arts, dont il deviendra également le directeur.

En 1799, des écrits subversifs incitent le gouvernement danois à rétablir la censure. Les gravures d’Abilgaard sont interdites. La Philosophie (1800), La Théologie (1800), La Justice (1800), d’inspiration révolutionnaire, restent enfermées dans son atelier.

Au centre de l’exposition, organisée conjointement par Elisabeth Foucart – Walter (conservateur en chef au département des Peintures du musée du Louvre) et Thomas Lederballe (conservateur au département des Arts graphiques du Statens Museum for Kunst, Copenhague), est évoquée la bibliothèque d’Abilgaard passionné des oeuvres de W. Shakespeare et des poèmes du barbe Ossian.

Fingal voit les fantômes de ses aïeux au clair de lune, vers 1782. Copenhague, Statens Museum for Kunst (c) Statens Museum for KunstOnirisme, esprit visionnaire, scène de fantômes, bouleversement des notions d’espace et de temps rappellent l’influence shakespearienne, dès 1770, dans les oeuvres romaines du peintre.
Ossian, vers 1780/82. Huile sur toile. Copenhague, Statens Museum for Kunst (c) Statens Museum for KunstParallèlement, dans sa toile Ossian, l’artiste représente le vieux barde aveugle, resté seul après la mort de son père Fingal et de son fils Oscar, dans une forêt sombre, chantant au son de sa harpe des poèmes. Si cette scène mélancolique évoque un passé révolu, elle célèbre aussi la poésie du barbe qui permet d’ancrer l’événement dans le temps et l’immortalise pour les générations futures. Abilgaard semble ainsi percevoir Ossian comme un « Homère du Nord », lui aussi aveugle. Cette peinture, datée vers 1780-1782, constitue l’une des premières toiles inspirées des poèmes du barbe. Reproduite par le graveur Johan Frederik Clemens (1749-1831) en 1787, elle figure parmi les peintures les plus diffusées d’Abilgaard.

Une sublime exposition découverte qui mêle érudition, rigueur, tradition et révolution!

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