A la rencontre – interposée – de Georges Mathieu…

Le Privilège d'être de Georges Mathieu, Les Editions Complicités

Le Privilège d’être
Ed. Complicités, 158p., 20E

Les Editions Complicités ont profité de la récente FIAC pour réditer Le Privilège d’être du peintre français Georges Mathieu (né en 1921), qui exposait pour l’occasion à la galerie américaine Malborough. Afin de (re)découvrir cet artiste majeur du XXè siècle, pourtant inconnu du jeune public et volontairement omis de l’enseignement scolaire, pour ses croyances monarchiques…inconvenantes dans notre chère République!

Voici une première édition grand public – la précédente de luxe (chez Robert Morel) date de 1967 – du Privilège d’être, qui n’en est pas moins relativement difficile d’accès. Autant être franche, seuls les passionnés d’art et les esprits curieux pourront parvenir au bout des 160 pages. A la fois en raison du discours grandiloquent de cette intriguante personnalité qu’est Georges Mathieu, mais également en raison de son érudition extrême, qui touche autant le domaine de l’art, de la philosophie que…de la physique quantique!

Difficile de le suivre donc parfois, ou souvent, selon. Mais là réside justement l’intérêt du livre. Car Le Privilège d’être permet de mesurer l’étendue de ses connaissances, et suivant une démarche intellectuelle appropriée, nous incite à poursuivre notre éternel apprentissage de trois notions vitales: l’Expression, le Savoir et la Pensée.

Après avoir hésité à faire écho à ce livre déconcertant, j’ai décidé de contacter l’éditrice Chantal V. pour en apprendre plus sur ce (pas si) célèbre Mathieu. Suite à cette rencontre dans un petit café de quartier, sur fond de dialogues étudiants et chansons pop mielleuses – incroyable décalage par rapport à la teneur de la conversation! – nous avons parlé du grand Homme, aujourd’hui âgé de 85 ans.

Portrait de Georges Mathieu - (c) Galerie Protée, ParisGeorges Mathieu naît à Boulogne-sur-Mer en 1921. Il étudie les lettres – son auteur favori est Conrad – le droit, la philosophie, et l’anglais. Il réalise ses premières peintures à l’huile (1942) alors qu’il enseigne l’anglais au lycée de Douai. Puis il part pour le sud, Biarritz (1945) et Istres, où il enseigne le français aux derniers américains basés en France.

Le 9 mars 1947, Mathieu s’installe à Paris car « c’est là que tout se passe », après avoir participé au Salon des Moins de Trente ans. Il se positionne derechef contre l’abstraction géométrique – dont les représentants sont, entre autres, Victor Vasarely (1906-97) et François Morellet (né en 1926) – qu’il trouve non-émotionnelle et non abstraite, dans le sens où cet art utilise des formes connues et reconnues (cercle, carré, rectangle, etc.).

Regards de flamme, 1988 Pour sa part, Mathieu revendique la liberté du peintre. Une liberté qui s’exprime par le geste spontané des jets de peinture sortant de tubes pressés [rappelons le contexte d’après guerre de l’essor des théories freudiennes]. Le peintre s’approprie en quelque sorte la notion d’écriture automatique surréaliste. « Georges Mathieu ne revient jamais sur un trait », précise Chantal.

Il réalise ses peintures perché sur un échaffaudage, sautant et pressant ses tubes de peinture. En live, devenant l’un des premiers artistes français à pratiquer l’action painting, développée à New York par J. Pollock, W. de Kooning, etc.. Mathieu a pressenti ce mouvement nouveau, cette autre façon de pratiquer l’art qui soufflait déjà outre-Atlantique – et l’a initié en France. Il est – et le proclame assurément haut et fort mais apparemment à juste titre! – l’inventeur de « l’Abstraction lyrique ».

Ce concept qu’il a « breveté » devait être donné à l’exposition organisée à la galerie du Luxembourg (1947) par Eva Philippe mais elle l’a jugé trop compliqué et l’a remplacé au dernier moment par L’Imaginaire.
L’Abstraction lyrique – ou « abstractivisme » pour être encore plus juste – est ainsi défini(e) par son auteur, via la voix de la Muse Euterpe : « Tout d’abord l’Art s’est débarrassé des derniers canons de beauté pour retrouver le néant des limites de la liberté à partir de laquelle tout redevient possible. Ensuite, les notions de préméditation et de référence à un modèle, à une forme déjà utilisée se trouvent définitivement bannis. Enfin si de tous temps la signification avait précédé le signe, désormais l’ordre dans le rapport signe-signification se trouve pour la première fois inversé. Il [G. Mathieu] dit que c’est là, la plus grande révolution depuis la création du monde. […]
Ses nouvelles Muses sont: La Méditation, La Concentration, La Vitesse, et l’Improvisation. » (pp.68-69).

Alkaest, 1967 - (c) ArtnetDevant cet art fondamentalement abstrait – ses peintures représentent une succession de traits approchant l’art de la caligraphie, avec souvent pour titre le nom de batailles historiques (Bouvines, Les Capétiens partout, Tibériade, etc.) – Mathieu a tenté de transformer son « langage » en « style » en réalisant des bijoux, des meubles, des cartons de tapisseries pour la Manufacture des Gobelins, des assiettes pour la Affiche pour Air France - (c) Académie des Beaux-ArtsManufacture nationale de Sèvres, des affiches pour Air France, des plans d’usine (Fontenay-Le-Comte) et de village (Castellaras, Var), une pièce de 10FF, etc..

Faisant sien le leitmotiv de l’économiste canadien, John Kenneth Galbraith (1908-2006), Georges Mathieu résume sa quête vitale: « L’artiste est maintenant appelé, pour réduire le risque du naufrage social, à quitter sa tour d’ivoire pour la tour de contrôle de la société ».

Reste à évoquer ses allégations en matière scientifique. Monsieur Georges Mathieu aurait adressé à – excusez du peu – Einstein un « modeste mémoire sur la possibilité de synthèse de la Théorie des quanta et de la relativité généralisée, en introduisant l’onde (phi) mais en renonçant à la solution trop facile de l’emploi des paramètres cachés » (p.116). Ledit Einstein aurait poliment renvoyé Mathieu dans les pâquerettes: « Il [Einstein] me répondit naïvement que son excellent ami Louis de Broglie avait fait le point de la situation dans ce domaine de magnifique façon. » Et d’oser poursuivre: « Or c’était précisément à partir des conclusions insignifiantes de Louis de Broglie que je l’interrogeais. Ne trouvez-vous pas admirable cette galanterie de nos deux derniers attardés en matière de déterminisme à se renvoyer l’ascenseur » (p.117)!

Devant une telle arrogance, nous aurions fortement envie de penser que cet artiste, « simple » peintre, bluffe! Comment, en effet, un homme qui n’a jamais étudié les sciences, ne serait-ce qu’au niveau universitaire, pourrait prétendre à un tel jugement des plus grands génies de la physique quantique?
Mais, tenez vous bien, des professeurs émérites d’Ulm, opportunément localisés à portée de main des Editions Complicité, ont – dans le contexte des connaissances de l’époque – affirmé que les propos de Mathieu tenaient la route…

Mercure - (c) Académie des Beaux-Arts Devant cette intelligence manifestement extraordinaire et cette quête remarquable de la Qualité qui passe par un engagement inconditionnel au service de l’art et de la condition humaine – le privilège d’être, indeed – je ne pouvais que fermer les yeux sur son égocentrisme démesuré – après tout, en partie justifié – et passer sur les extravagances de cet Artiste, féru d’aristocratisme. Donc, aider à propager la connaissance de son oeuvre. Non?

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3 réponses à A la rencontre – interposée – de Georges Mathieu…

  1. PELLERIN dit :

    Je suis assez amusé et pas étonné par les remarques de Einstein vis à vis de Georges Mathieu : ce dernier aurait dû savoir que ce génie Einstein ne croyait pourtant pas à la Physique quantique et à ce sujet avait répondu :
    Dieu ne joue pas aux dés.

    Cordialement,

    Pascal PELLERIN

  2. najmaoui el mahjoub dit :

    merci pour la peinture et le plaisire que tu nous offres j’aime ton style.un artriste du maroc

  3. gaborieau chantal dit :

    j ai toujours adore votre style et l homme , au plaisir de vous revoir a notre table
    amities sincere chantal

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