Le huit-clos de Lucian Freud

Working at night, 2005. Photographie (c) David Dawson, courtesy of Hazlitt Holland-Hibbert, LondresLucian Freud: L’Atelier

Jusqu’au 19 juillet 2010

[fnac:http://plateforme.fnacspectacles.com/place-spectacle/manifestation/Musee—Exposition-BILLET-MUSEE—EXPOSITIONS-MUSEX.htm]

Centre Pompidou, Galerie  2, niveau 1, place G. Pompidou 75004, 10 à 12€

La dernière exposition de Lucian Freud, petit-fils du fondateur de la psychanalyse Sigmund Freud, en France remonte à 1987. Sans vraiment rencontrer le succès attendu. Pourtant, les années 1980 sont marquées par un revival de la peinture figurative. Vingt ans plus tard, le Centre Pompidou retente sa chance. En présentant l’unique univers qui importe au peintre: son atelier.

Artiste largement reconnu sur la scène londonienne (exposition à la Tate Britain en 2002) voire européenne (exposé au Museo Correr à Venise en 2005), Lucian Freud (né en 1922, à Berlin, émigre en Angleterre avec ses parents pour fuir le nazisme en 1934), est peu représenté dans l’Hexagone. C’est d’autant plus surprenant que certaines de ses oeuvres évoquent de manière notoire la peinture française et traduisent l’attachement du peintre pour la culture républicaine.

Dès ses débuts, Lucian Freud place l’atelier au coeur de son art (The Painter’s Room, 1944). L’atelier constitue un espace introspectif, autobiographique (l’écharpe, sa veste qu’il aurait laissées traîner ou sa palette). Un laboratoire qu’il éclaire avec de la grosse artillerie (cf. Night Interior, 1968/70). L’atelier est reconnaissable à la présence d’un sofa usé, lavabo, lit en fer et plantes vertes. Car pour l’artiste il existe une continuité biologique entre l’homme, le végétal et l’animal. Comme cette tête de zèbre empaillée qu’il fait surgir de la fenêtre de son atelier. Ce qui lui a valu l’étiquette, dont il se défend, de surréaliste existentialiste.

La première partie de l’exposition met ainsi en valeur cette confrontation entre l’intérieur – son atelier – et l’extérieur – de rares paysages urbains: immeubles et bâtiments industriels londoniens (Factory in North London, 1972), arrière-cour, terrains vagues, décharges, jardinets) qu’il peint évidemment de l’intérieur -. Selon une vue en plongée, un angle serré.
« La puissance de l’oeuvre de Lucian Freud réside dans cette tension étroitement surveillée entre distance et intimité », commente Cécile Debray, commissaire passionnée de l’exposition!

Reflection with Two Children (Self-Portrait). Huile sur toile. Madrid, Museo Thyssen-Bornemiska. Photo (c) José Loren. Museo Thyssen-Bornemiska, Madrid (c) Lucian FreudIdem pour les portraits, genre dans lequel se distingue l’artiste, en particulier le nu. La complexité des autoportraits relève de la confrontation entre réflexivité et mise à distance ironique. « Pour se représenter soi-même, il faut essayer de se peindre comme si on était quelqu’un d’autre. Dans l’autoportrait, la ‘ressemblance’, c’est autre chose. Je dois peindre ce que je ressens sans tomber dans l’expressionnisme ».
Dans Reflection with Two Children (Self-Porrait), 1965, l’artiste use d’une vue en contre-plongée, posant un miroir à plat sur le sol, pour se représenter de manière grandiloquente, dans une position d’accusé face au tableau. Cette manière autoritaire est contre-balancée par la silhouette des deux enfants, qui du fait du décalage d’échelle apparaissent comme des marionnettes. L’artiste reprend ici une composition de Vélasquez, peignant l’autorité royale adoucie par la présence de bouffons.

After Cézanne, 2000. Huile sur toile. Canberra, National Gallery of Australia. Photo (c) National Gallery of Australia, Canberra (c) Lucian FreudViennent ensuite, de manière naturelle, les reprises, c’est à dire, sa relecture des peintures anciennes. Un aspect nouveau dans son art, qu’il développe à partir de 1980. Dans After Watteau (1983), L. Freud introduit de la théâtralité, de l’artifice dans sa peinture. La scénographie de Corrine Marchand, axée sur deux couleurs, met en valeur la gravure que l’artiste aborde dans ces années-là. Genre qui lui permet de renouer avec le dessin, abandonné brutalement dans les années 1950 alors qu’il occupait jusqu’à alors une place centrale dans son travail.

Leigh under the Skylight, 1994. Huile sur toile. Collection particulière. Photo John Riddy (c) Lucian FreudLa dernière section est sûrement la plus perturbante avec ses représentations de chair humaine grotesque (oeuvres des années 1990), avec pour modèles le performer et styliste d’origine australienne Leigh Bowery, chef de file de l’avant-garde londonienne qui posera jusqu’à cinq jours par semaine dans l’atelier de Freud. Non seulement l’artiste recquiert la présence de ses modèles sur le long terme (sa mère posera quotidiennement pour lui de 1970 à 1980), mais chaque temps de pose s’éternise, afin de laisser exprimer la lassitude des sujets sur leur visage. « Une manière de les assoupir pour mieux les dominer », explique Cécile Debray.
Citons encore son amie Sue Tilley, obèse, surnommée par le peintre par son métier Benefits Superior [cadre d’une société de prévoyance sociale], posant dans Evening in the Studio (1993) telle une méduse échouée au premier plan. L’artiste transcrit ici sa fascination pour un corps hors mesure, qui met en valeur la  maîtrise de l’artiste pour rendre la luminosité et l’épaisseur de la matière corporelle.
« Je veux que la peinture soit chair », répète-t-il inlassablement dans ses entretiens. Comme pour les paysages, le sujet est observé dans le huit-clos de son atelier.

Véritable laboratoire, l’atelier du peintre donne le titre ou la date de l’oeuvre, au gré de ses déménagements. Depuis Paddington (Interior at Paddington, pour lequel il remporte le prix de l’Arts Council de Grande-Bretagne en 1951) où il s’installe en 1943 pour trente ans jusqu’à son actuelle maison de Notting Hill, avec un petit jardin (à partir de 1989, un an après avoir acquis une notoriété internationale). Sans oublier le loft de Holland Park qu’il conserve de 1977 à 2008 (cf. film en fin de parcous de Tim Meara, Small Gestures in bare Rooms, 10′).
Dans Large Interior, Notting Hill (1998), le peintre ajoute une narrativité nouvelle, en ajoutant un second personnage: un homme en train d’allaiter. En fait, son modèle féminin ne pouvant être assidue aux séances de pose, l’artiste a demandé à son assistant David Dawson de la remplacer!

Painter's Garden with Eli, 1948. Photographie (c) David Dawson, courtesy Hazlitt Holland-Hibbert, LondresL’exposition se termine sur les photographies réalisées par de David Dawson de l’atelier et un court-métrage, montrant de manière furtive la silhouette de Lucian Freud traversant son atelier.

Pour avoir plusieurs fois observé des oeuvres de Lucian Freud dans les musée londoniens, j’avoue ne jamais avoir su apprécier cet étalement de chair difforme! La présente exposition du Centre Pompidou, qui n’aura lieu qu’à Paris, m’a littéralement ouvert les yeux. Elle permet réellement de comprendre l’essence de l’art d’un peintre contemporain parmi les plus réputés sur la scène internationale. La complexité de son oeuvre, sa relecture de l’histoire de l’art et son propre apport dans le genre pictural. Une révélation.

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