Le South Bronx vu de l’intérieur

South Bronx de Abraham Rodriguez. Le Serpent à plumes, octobre 2009South Bronx de Abraham Rodriguez

Le Serpent à plumes, collection roman noir, octobre 2009, 21€

Dans un style pur mais poétique, dans une ponctuation libre mais en osmose avec les idées qu’elle soutend, Abraham Rodriguez évoque le South Bronx, quartier portoricain de New York, où les Blancs n’osent généralement pas s’aventurer. Sauf cette jolie blonde, Ava, qui par une nuit pluvieuse, se glisse ensanglantée dans le lit d’un inconnu…

A la fois roman policier – les flics locaux jouent au chat et à la souris avec le FBI et des traficants de tout genre -, traité sur la création artistique et conte d’amour, South Bronx emporte le lecteur dans un flot narratif percutant.

L’intrigue rebondit, devenant prioritaire ou secondaire par rapport au simple plaisir des mots, en fonction du narrateur.

Il y a Ava, cette jeune femme blanche en fuite.

Alex, Mink et Monk, trois Portoricains de South Bronx. Le premier, beau gosse, noie l’absence de sens vital dans l’alcool et les femmes – une différente chaque soir de préférence. Mink, l’artiste abstrait qui a connu la gloire et essaie de sortir des ronds et des cubes dans lesquels il s’est enfermé. Et Monk, son contrepoint littéraire, également en quête d’inspiration.
Pendant ce temps, le flic portoricain Sanchez, déchu pour avoir lutté contre un supérieur qui s’octroyait le droit de tuer directement les dealers plutôt que de s’encombrer de démarches judiciaires, doit faire équipe avec l’agent Myers, spécialement dépêché de Washington. Leur objectif: retrouver les dix millions de dollars subtilisés par un dealer à un réseau terroriste.

Tout ce petit monde va se croiser, plus ou moins intimement, coinçant le lecteur sur ses a priori quant à qui sont les gentils, qui sont les méchants…

Abraham Rodriguez, connu pour The Boy without a flag – Livre de l’année sélectionné par le New York Times -, et pour Spidertown (Lauréat du Prix American Book en 1995), signe un nouvel opus mêlant avec aisance extraits de textes, poèmes et éléments biographiques.

« Mink était sur le point de lancer une blague quand il remarqua la manière dont Alex la fixait encore.
‘Elle est aussi blanche qu’un fantôme’, murmura-t-il.
Mink attendit. Il sentait les tâches de peinture prendre lentement la forme de la fille sur la toile, l’y enfermer pour toujours. Il fut terrifié à l’idée qu’elle se réveille, qu’elle s’en aille ou que quelque chose change un jour dans cette pièce. Il voulait le moment rien que pour lui (Dans ses mémoires, il bannirait Alex à l’extrême périphérie). Il pensait à ce qui arrivait généralement aux femmes dans la vie d’Alex, celles avec qui il l’avait vu dans la rue aux fêtes ou dans son lit: elles disparaissaient, chacune laissant place au parfum suivant. » (p.54).

Un style urbain étoffé d’une prose poétique qui se lit avec délectation. Le lecteur découvre de l’intérieur l’univers portoricain d’un quartier défavorisé de New York. Ambiance café, clopes, musique. Mais aussi drogue, descentes de police, coups de feu.

« Je lui ai dit qu’il devrait goûter de la vraie cuisine portoricaine et c’est pour ça que j’ai fait commencer ce connard par un sandwich cubain. (Petite vengeance, petite private joke.) Lui hagard l’air un peu ralenti pourtant mauvaise pulsation d’énergie dans ses yeux. Je me suis dit qu’une bière le détendrait. Quels sont les mots les plus vrais prononcés dans la culture américaine? Ca n’est pas ‘make my day‘ ou ‘ c’est calme… trop calme’, qu’on entend dans les westerns ou les films de guerre. Les mots les plus vrais jamais prononcés dans la culture américaine sont: ‘Couvre-moi.’ Chaque Américain les connaît. Chaque Américain sat ce qu’ils signifient. Ils sont le symbole, le code d’une fraternité. Un frère qui se tourne vers un frère pour qu’il l’aide: ‘Je couvre tes arrières.’ Des mots qui disent qu’on est américain. Peu importe quelle couleur quelle culture quel grade, on est là pour les autres quoi qu’il arrive. Qui est là pour le pauvre plouc américain quand il part en croisade? Qui se tiendra contre le mur avec nous?
(OK. On buvait du rhum.) » (pp.220-221).

N’ayons pas peur des mots, South Bronx est un roman de la rue qui fraie avec la grande littérature.
Un seul petit regret: que les (nombreux) mots espagnols qui ponctuent le récit ne soient pas traduits.

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