L’âge d’or vénitien

itien. Danaé, 1544/46. Naples, Museo di Capodimonte (c) Scala, FlorenceTitien, Tintoret, Véronèse… Rivalités à Venise

Jusqu’au 4 janvier 2010

[fnac:http://plateforme.fnacspectacles.com/place-spectacle/manifestation/Exposition-TITIEN–TINTORET–VERONESE—-TITIE.htm]

Musée du Louvre, Hall Napoléon 75001, 11€

Exposition phare de la rentrée, « Titien, Tintoret, Véronèse… Rivalités à Venise » présente l’élite des peintres lagunaires au XVIe siècle. Si chaque maître tente d’émuler l’autre, l’exposition du musée du Louvre souligne que Titien, peintre officiel de la République, reste un cran au-dessus de ses concurrents. Animé par une créativité surprenante, son art ne cesse d’évoluer et contraint ses pairs à se démarquer dans le traitement des sujets préférés de l’époque: les portraits, les scènes religieuses et mythologiques. Pour le meilleur de l’art vénitien, qui porte la richesse d’expression picturale à son apogée.

L’exposition s’ouvre sur une représentation des Noces de Cana (1563) de Véronèse dans laquelle le peintre figure en compagnie de Tintoret, Bassano et Titien, chacun à son instrument de musique, tout en s’unissant dans un concert harmonieux. Message subliminal: la saine rivalité qui règne entre les artistes permet à la Sérénissime de briller sur la scène picturale au cours du XVIe siècle – siècle d’or vénitien.

« Quand la nature crée un homme éminent en un domaine, elle ne le crée généralement pas seul, mais lui suscite en même temps un rival, afin qu’ils puissent profiter mutuellement de leurs talents et de leur émulation », écrivait Giorgio Vasari dans Les Vies des meilleurs peintres, sculpteurs et architectes (1568).

Titien. Portrait de Paul III, tête nue, 1543. Naples, Museo di Capodimonte (c) Erich Lessing, VienneDans les années 1540, l’art de Tiziano Vecellio dit Titien (1488/90-1576) atteint sa maturité comme l’attestent sa Danaé et le Portrait du pape Paul III, tête nue. Titien a renouvelé la peinture vénitienne en imposant des archétypes. Comme l’intensité du regard (Le Doge Francesco Venier), la domination de la position du sujet (sotto in sù, « vue par en dessous ») associée à un cadrage serré pour inspirer le repect, et l’ouverture (pour les portraits d’hommes seulement) sur l’extérieur afin de rapporter un épisode historique qui glorifie le commanditaire.

Tintoret. Suzanne et les vieillards, vers 1555/56. Vienne, Kunsthistorishes Museum (c) Kunsthistorisches Museum, VienneAu même moment, Tintoret commence son ascension tandis que Véronèse arrive à Venise. Et va lui faire ombrage.
Leur rivalité s’exprime notamment dans le traitement des reflets – effet pictural initié par Giorgione (1477-1510), qui permet d’apporter une troisième dimension à la peinture à un moment où celle-ci rivalise avec la sculpture (thème du paragone). Jacopo Robusti dit Tintoret (1518/19-1594) est fortement marqué par Michel-Ange et le maniérisme, développé en Italie centrale et qui fait son apparition dans la République vénitienne au milieu du XVI siècle. Sa Suzanne et les vieillards constitue l’un de ses sujets féminins les plus réussis. L’héroïne biblique est assimilée à une Vénus au bain, s’admirant dans un miroir, inconsciente du regard concupiscent de deux vieillards… et de celui du spectateur, placé en position inconfortable de voyeur indiscret!
A l’inverse, Paolo Caliari dit Véronèse (1528-1588) choisit de rester plus classique, favorisant l’équilibre de la composition et la beauté des formes sur le naturalisme qui prévaut à Venise.

Véronèse. Les Pèlerins d'Emmaüs, vers 1555/60. Paris, Musée du Louvre, département des Peintures (c) RMN / Gérard BlotMais dans la thématique religieuse, Véronèse innove en mêlant de nombreux détails profanes (portraits d’enfants et d’animaux, paysages) aux scènes bibliques. Ainsi, dans ses Pèlerins à Emmaüs, l’apparition miraculeuse du Christ ressuscité à deux de ses apôtres est transposée sur le portique d’une villa vénitienne. La famille du commanditaire est représentée autour des personnages bibliques transformant une histoire sacrée en scène de genre, chère à Véronèse.
Cette propension à mêler sacré et profane lui vaut d’ailleurs un procès de l’Inquisition en 1573 pour sa Dernière Cène. L’Inquisiteur: « Quelqu’un vous a-t-il demandé de peindre dans ce tableau des hallebardiers, des bouffons et d’autres choses du même genre? ». Véronèse: « S’il reste de l’espace dans le tableau, je l’orne d’autant de figures qu’on me le demande et selon mon imagination […] Nous les peintres, nous nous accordons la licence que s’accordent les poètes et les fous ». Une réponse qui force l’artiste à transformer son sujet en Repas chez Lévi pour justifier la présence de personnages hétéroclites et l’abondance de détails profanes dans une scène religieuse.

Titien. La Mise au tombeau, 1559. Madrid, Museo del Prado (c) Museo del Prado, MadridSi les premières oeuvres de Titien se distinguent par l’incroyable luminosité de la carnation des corps – fidèle en cela à la tradition vénitienne aux dépens de l’exactitude du dessin (au grand regret de Michel-Ange, lorsqu’il observe la Danaé de 1544/46) -, ses oeuvres de fin de carrière développent une sorte d’impressionnisme. Le peintre met en place un style par « taches » (La Mise au Tombeau, 1559) qui renforce la dramatisation de ses scènes nocturnes (Le Transport du Christ, vers 1520) – autre effet stylistique de la seconde moitié du XVIe siècle, né de l’assimilation de l’esprit de la Contre-Réforme.

Jacopo Bassano. Saint Jérôme Pénitent, vers 1560/65. Venise, Gallerie dell'Accademia (c) Scala, Florence. Su concessione Ministero Beni e Attività CulturaliInitiée à Boston (Museum of Fine Arts), l’exposition parisienne met l’accent sur la comparaison des toiles des trois maîtres à d’autres pointures de l’époque comme Jacopo Negretti dit Palma le Jeune (1544-1628) ou Jacopo dal Ponte dit Jacopo Bassano (1510-1592). A travers notamment le thème de saint Jérôme pénitent. Ainsi, « par son réalisme révolutionnaire, le saint de Bassano a été considéré comme un tableau presque précurseur de la peinture caravagesque », commentent les commissaires de l’exposition, Vincent Delieuvin et Jean Habert.

Les artistes s’émulent également dans leur propre représentation. Dans son Autoportrait (vers 1588), Tintoret se représente de manière frontale (au lieu de la position usuelle de 3/4) afin de se singulariser. Ses yeux sont grands ouverts, la paupière tombante (comme dans son autoportrait de jeunesse). Il en résulte une image inquiétante et mystérieuse qui se distingue du profil serein et grandiose de Titien (vers 1562?).

Tintoret. Tarquin et Lucrèce, vers 1580. Chicago, The Art Institute (c) The Art Institute, ChicagoLa dernière section s’intéresse au thème de la femme désirée par une représentation violente de la scène du viol de la vertueuse Lucrèce par Tarquin, roi de Rome – un événement qui avait incité les Romains à se débarrasser de leur roi pour fonder une République. La composition de Tintoret s’inspire de celle de Titien mais rend le pathos par des oppositions formelles: Tarquin nu attire Lucrèce vers le lit en lui arrachant sa robe et son collier de perles, renversant au passage une sculpture féminine (contraste entre la chair vivante et le corps inerte de la matière froide). Tandis que Titien représente de manière franche la force tragique du moment en représentant Tarquin, encore habillé, l’épée menaçante au bout de la main, s’apprêtant à s’affaler sur Lucrèce. Déshonorée, celle-ci se suicide.

Titien. Danaé, vers 1553/54. Madrid, Museo del Prado (c) Museo del Prado, MadridPour conclure l’exposition sur une note plus gaie, le dernier tableau représente une autre version de Danaé de Titien (vers 1553/54), qu’il réalise pour Philippe II d’Espagne. Ici, Cupidon est remplacé par une vieille servante qui a l’apparence d’une entremetteuse, faisant de Danaé une incarnation de l’amour vénal. Sa nouvelle touche, large et énergique, permet de rendre la carnation de la déesse grecque avec une grande virtuosité.

Une exposition remarquable, intelligemment construite et mise en scène. En dépit de l’éclairage, qui offre de nombreux reflets, et impose souvent de s’éloigner des oeuvres pour les admirer.

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3 réponses à L’âge d’or vénitien

  1. Ping :Le meilleur du Rijksmuseum à Paris - exposition rembrandt paris pinacotheque

  2. Fan Tintoret dit :

    Superbe collection des trois peintres, à voir absolûment.

    Petit bémol, la présentation laisse à désirer. Les tableaux sont les uns sur les autres, trop de tableaux sur un même mur. et ça « manque d’air ».
    On se croirait dans une pìèce étroite sous les escaliers. Malgré la prévoyance des guardiens, (pas plus de 500 personnes à la fois, il semblerait), il faut jouer des coudes en permanence pour apercevoir les tableaux. Cela rappelle le métro aux heures de pointe. On se fait bousculer plus d’une fois. Eviter donc les heures d’affluence.

    Un peu déçu de la présentation, mais ravi de voir ces exquis tableaux.

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