Découverte de l’Antiquité et renouveau des arts, 1786-1955
Jusqu’au 15 mars 2026
Musée Cernuschi, 7 avenue de Vélasquez, Paris 8e
Le musée Cernuschi dévoile un art chinois méconnu : l’estampage ancré. D’abord technique de conservation des textes anciens, il devient méthode de transmission de l’image de bas-reliefs, sculptures, vases rituels, et objet de quête des collectionneurs. Les arts lettrés puis populaires vont s’emparer de cette forme de graphie primitive pour réaliser des créations dignes des collages modernistes.

Entre les XVIIIe et le XXe siècles, la Chine – comme l’Europe – se tourne vers l’Antiquité pour renouveler ses arts.

Les lettrés de la dynastie Qing (1644-1911) se spécialisent dans l’étude des vases rituels et des stèles antiques, en particulier les inscriptions gravées sur pierre ou métal – science appelée jiinshixue -. Les moines tels Ruan Yuan et Liuzhou, dont les oeuvres sont particulièrement présentes dans l’exposition, sont à l’affût de fragments de stèles difficilement accessibles et relèvent les empreintes de calligraphies parfois à flanc de montagne.

Liuzhou 六舟 (1791-1858), Estampage d’un vase rituel en bronze 彝器全形拓. Dynastie Qing (1644-1912), milieu du XIXème siècle. Encre sur papier. Musée Provincial du Zhejiang
Pour réaliser un estampage encré, il faut appliquer sur le modèle des feuilles de papier humides qui épousent creux et reliefs avant de les recouvrir d’une couche d’encre qui révèle le détail des graphies.
Le parcours débute par la présentation d’un estampage ayant appartenu à Zao Wou-ki, qui en possédait 800, et que sa veuve a légués au musée Cernuschi. Ce qui surprend de prime abord est le sentiment de « bazar » que nous renvoient les signes, habituellement plutôt bien ordonnés dans les peintures chinoises !
L’exposition montre ensuite le basculement de l’intérêt pour le signe vers l’image avec deux estampages de statues de pierre du tombeau du seigneur de Biao.
D’un estampage en deux dimensions, on passe à trois dimensions, avec l’empreinte d’inscriptions relevées sur des vases ou des cloches et quelques objets en bois comme le repose-poignet et l’intérieur d’une cithare par le moine Liuzhou. Ce dernier se représente souvent dans ses oeuvres, « pour témoigner de son rôle de transmetteur d’images du passé », commente Éric Lefebvre (directeur du musée Cernuschi), commissaire de l’exposition.

百岁图. Dynastie Qing (1644-1912), 1831. Encre sur papier. Musée Provincial du Zhejiang
C’est encore Liuzhou que l’on retrouve dans la salle suivante avec une exécution artistique révolutionnaire : une sorte de collage bien avant l’heure des cubistes ! Avec une seule feuille, il prend l’empreinte d’une accumulation de près de 90 objets. Ce travail de superposition, rehaussé en rouge des empreintes de sceaux, lui a pris cinq années de travail.
Liuzhou est le premier à explorer le dialogue entre estampage et peinture, comme on peut le voir dans Offrandes de fleurs et briques antiques (1835) et plus loin dans l’Estampage du couvercle d’un vase de type hu et peinture florale (1847).

鼎盛图轴. Dynastie Qing (1644-1912), 1902. Encre et couleurs sur papier. Musée Provincial du Zhejiang
Wu Changshuo portera à son apogée la technique mise au point par Liuzhou en associant les estampages de deux célèbres bronzes antiques à ses peintures de prunus et de pivoines en fleurs. Le peintre ajoute aux pieds des vases l’estampage des inscriptions situées à l’intérieur, et y ajoute des commentaires dans des notes marginales.
Juste à côté est présenté le portrait de Wu Changshuo, conçu par deux de ses élèves pour ses 80 ans. Le visage réalisé au fusain et à l’encre, d’un grand réalisme, presque photographique, contraste avec la fluidité de la robe rouge, portée en référence du maître du bouddhisme chan (zen) Bodhidharma. Ce portrait fait le lien avec la salle suivante qui révèle le dialogue et les échanges artistiques entre et la Chine et l’Occident, au début du XXe siècle.
On découvre ainsi un genre nouveau initié par Yao Hua : une peinture en trompe l’oeil imitant l’estampage (bapo), telle celle d’une stèle bouddhique qu’il a peinte directement sur le papier et retravaillée avec son imagination.
Surprise encore plus grande avec la vue d’un estampage de stèle gravée égyptienne, attribué à Duanfang. Ce collectionneur d’antiques de la fin de la dynastie Qing est envoyé en mission en Occident en 1905 et fait escale au Caire, où il acquiert des stèles antiques. De retour en Chine, il en fait réaliser des estampages qu’il diffuse dans les milieux lettrés ; ce qui participe au développement d’une approche comparative des écritures anciennes.
Une exposition à la fois lettrée et artistique, finement mise en scène.