« L’art nous apporte l’assurance que tout ne meurt pas » (Charles Lapicque)

Charles Lapicque, L'Embarquement pour Cythere, 1980. Acrylique sur toile. Collection particulière (c) Photo Jean-Louis Losi / Adagp, Paris, 2008Charles Lapicque (1898-1988). Une rétrospective

Jusqu’au 13 septembre 2008

Musée de La Poste, 34, bd de Vaugirard 751015, 5€

Qui est Charles Lapicque? Oublié de nos contemporains, Charles Lapicque (1898-1988) était pourtant jugé parmi les dix peintres les plus importants de l’art occidental d’après André Breton! Le musée de la Poste nous offre un rafraîchissement de mémoire indispensable et dévoile un artiste rattaché à la Nouvelle Ecole de Paris, dont l’oeuvre a tant perturbé les critiques d’art…


Avec 85 huiles sur toile et papier et un cabinet de 60 dessins, l’exposition du musée de La Poste entend non seulement présenter les oeuvres les plus connues de Charles Lapicque – celles à partir de 1939 -, mais aussi révéler celles qui précèdent cette date charnière.

Charles Lapicque, ingénieur électricien, se passionne pour la peinture dès les années 1920. Peintre autodidacte, il apprend à dessiner au lycée puis à l’école Centrale de Paris!

Charles Lapicque, Retour de pêche, 1946. Encre de Chine sur papier. 26 x 20 cm. Collection particulière (c) Photo Adam Rzepqa / Adagp, Paris, 2008De ses années d’enfance, Charles (né orphelin dans une famille lorraine et franc-comtoise) garde l’amour des animaux (cf. sa série sur les tigres) et de la mer. Il passe ses étés chez son oncle en Bretagne, où il apprécie les changements constants du paysage marin. Picturalement, pour exprimer la force, l’agitation perpétuelle des flots, il adopte une sorte de huit allongé (cf. Retour de pêche, 1946 ou Régates dans la houle, 1946).

Son talent le fait repérer par le sculpteur français d’origine lituanienne Jacques Lipchitz (1891-1973), qui le recommande à la galeriste Jeanne Bucher, célèbre pour ses positions avant-gardistes. En 1929, J. Bucher offre à Lapicque sa première exposition personnelle et le reconnaît ainsi officiellement peintre à part entière.

Charles Lapicque, Jeanne d'Arc traversant La Loire, 1940. Huile sur toile. 100 x 81 cm. Collection particulière (c) Photo Jean Bernard / Adagp, Paris, 2008Pourtant, Charles Lapicque néglige ses premiers essais en peinture figurative – un gigot, une bouchère, des transformateurs, des automobiles, des voiles de bateaux -. Pour lui, il entre réellement en peinture en 1939, lorsque ses recherches sur les couleurs et l’espace aboutissent à une théorie qui prend le contrepied de celle acquise depuis la Renaissance. Au lieu de choisir des teintes chaudes pour un effet approchant aux dépens des couleurs froides qui éloignent, il applique du bleu pour « les corps solides, pesants et rapprochés » et réserve « le rouge, l’orangé ou le jaune aux corps lumineux ou lointains tel que le ciel » (1961).

Lapicque détermine ainsi une grille de construction bleue et rouge à ses compositions, qui sera reprise par l’ensemble des artistes de son époque.

Charles Lapicque, Charles d'Aquitaine, 1953. Huile sur toile. 150,7 x 117 cm. Collection particulière (c) Photo Jean Bernard / Adagp, Paris, 2008Dans les années 1950, il réalise des portraits mythologiques et historiques (Charles d’Aquitaine, Jeanne d’Arc, etc.) en appliquant cette technique qui donne l’impression que le personnage s’approche du spectateur. Daniel Abadie, historien d’art et directeur de la galerie nationale du Jeu de Paume analyse la manière de procéder de l’artiste: « Des aplats de couleurs pures particulièrement somptueuses, enserrés d’un liseré nerveux de peinture blanche assurant un cloisonnement proche de celui des verrières gothiques, offrent au premier abord l’apparence d’une composition purement abstraite. Le spectateur cependant reste sollicité par une impétueuse nécessité qui l’amène à découvrir plus ou moins rapidement le véritable objet du tableau: la figure, chacune possédant son expression propre, fortement différente des autres » (in ‘Lapicque solitaire’, La Galerie des Arts, n°79, novembre 1969). Le tout est de trouver la bonne distance pour regarder les tableaux de Lapicque et observer cette figure…

Alors qu’il aurait pu passer maître dans la voie de l’abstraction, Charles Lapicque déroute les critiques en revenant soudainement à la figuration. Car il ne voit pas pourquoi « il renoncerait aux beautés naturelles qui s’offrent à ses yeux ». L’artiste aiguise alors sa maîtrise de la « figuration gestuelle »; un style plus dynamique, qui fait naître du chaos, de la matière, le mouvement.

C. Lapicque est un artiste de la couleur et du mouvement. A tel point qu’il parvient à représenter dans un seul tableau tous les gestes d’un joueur de tennis! Dans son oeuvre, il fait coexister différents temps, différents espaces, différentes perspectives.
En 1953, il remporte le prix Raoul Dufy et s’envole pour l’Italie. A Rome, il achète un plan de la ville moderne sur lequel il surperpose un plan de Rome antique. Ce qui se traduit par des représentations de monuments anciens dans des lieux contemporains. « C’est un Humaniste ancien qui s’ouvre sur le monde moderne », le décrit Daniel Abadie dans l’excellent film (1998) du Suisse Peter Indergand, présenté en fin d’exposition (comptez 20 mn).

La partie la plus surprenante dans l’oeuvre de Lapicque reste son traitement du baroque. Venise incarne pour l’artiste le changement: » tout est passage ici-bas, nous disent les statues baroques: la vie n’est qu’un mirage, le monde une scène de théâtre » (‘Apprentissage et spontanéité’ in Essais sur l’espace, l’art et la destinée, Grasset, Paris, 1958).

Pour imiter le style baroque, Charles Lapicque revient aux prémices de ce mouvement artistique des XVIe-XVIIe siècle, qui se caractérise par l’exubérance, la surcharge décorative, les effets dramatiques.
« Je ne pus me résoudre à copier directement l’apparence d’un art qui se veut lui-même si délibérement apparence. Il fallait opérer autrement, partir des sources où ces gens avaient puisé, et mimer leur démarche. D’où étaient-ils partis? De l’Antiquité évidemment ». Lapicque se met donc à copier les statues antiques (cf. Fontaine baroque, 1954 ou Ange Vénitien, 1954). Mais il sait apporter sa touche personnelle en représentant des tableaux nocturnes aux couleurs chaudes – ce qui a grandement choqué les critiques parisiens de l’époque! Ils l’ont plus été encore, lorsqu’ils obervèrent des paysages bretons aux couleurs du désert (cf. Vallon en Bretagne, 1957)!

Adepte du changement, Charles Lapicque a dérouté ses contemporains. Cette recherche constante de style – « c’est un chercheur né », s’exclame la commissaire de l’exposition, Josette Rasle -, l’a desservi jusqu’en 1967. Date à laquelle il obtient une reconnaissance officielle en étant exposé au Musée national d’art moderne (Centre Pompidou). Mais cette « inconstance » le rapproche indéniablement des artistes contemporains. Et confère à son oeuvre toute son actualité.

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