Pendant la guerre, les femmes font plus qu’elles ne suivent la mode

Irène. Ensemble pour bicyclette, chapeau en feutre, mocassin en cuir à semelles de bois, sac gibecière en cuir, 1942-44 (c) S. Piera / Galliera / Roger-ViolletAccessoires et objets, témoignages de vies de femmes à Paris, 1940-1944

Jusqu’au 15 novembre 2009

Mémorial du Maréchal Leclerc de Hauteclocque et de la Libération de Paris – Musée Jean Moulin, Jardin Atlantique (au-dessus gare Montparnasse), 23, allée de la 2e DB 75015, 4€

Le musée Galliera (musée de la mode de la Ville de Paris) étant fermé pour travaux jusqu’en 2010, il s’associe pour la première fois au Mémorial du Maréchal Leclerc de Hauteclocque et de la Libération de Paris pour offrir une exposition sur les accessoires de mode, pendant la Seconde Guerre mondiale. Objets de propagande politique autant que d’élégance, les accessoires de mode témoignent du quotidien des Parisiennes, qui doivent survivrent dans une capitale occupée.


Le contexte historique est primordial. Les accessoires sont placés au pied de cartels narratifs pendus aux cimaises. Mais aussi dans des vitrines de verre, sur fond de photographies d’époque, journaux de mode, affiches, partition de chansons et actualités cinématrogaphiques.

En 1939-40, la présence des soldats français à Paris se répercute sur la mode. Le tartan fait fureur, les chapeaux s’inspirent du Glengarry (calot des troupes écossaises) ou de la chéchia (calotte de drap rouge portée par les zouaves). Hermès développe le carré Petits soldats représentant des zouaves. Boucheron imagine les broches Silhouettes 1940 en hommage aux aviateurs, chasseurs alpins, artilleurs et cavaliers. Si le rouge et le noir sont les couleurs reines des tenues vestimentaires civiles dans les premières années de guerre, le bleu RAF s’étend aux accessoires et aux tailleurs.

Rue de Rivoli, début août 1944 (c) Mémorial Leclerc-Musée Jean Moulin, coll. GandnerParis tombe aux mains des Allemands le 14 juin 1940. La capitale n’est plus qu’une préfecture régionale, son administration est placée au service de l’occupant. Dès l’été, les services allemands investissent les lieux symboliques: l’Abwehr au Lutétia, la Luftwaffe au palais du Luxembourg, le service de propagande au Palais Bourbon. Paris vit à l’heure allemande, les horloges sont avancées d’une heure.

Sac à main en marqueterie de bois et cuir, vers 1943 (c) E. Emo et S. Piera / Galliera / Roger-ViolletLes premières restrictions sévissent. L’Allemagne réclame 400 millions de francs par jour et l’entretien des troupes allemandes. La France devient le fournisseur attitré du IIIe Reich lors de la signature de l’armistice à Rethondes. Le charbon devient rare, l’électricité est constamment coupée, les denrées alimentaires s’amenuisent. Pour l’année 1941, l’occupant réclame six millions de paires de chaussures. Pour obtenir des souliers, les Parisiens doivent en faire la demande écrite auprès de la mairie. Parallèlement, les bottiers proposent des modèles, en vente libre (sans ticket), réalisés en raphia, ruban ou paille tressée. Le cuir des semelles est remplacé par du bois, souvent évidé.

Jeanne Lanvin. Turban de paille cousue sur organza, 1942-43 (c) S. Piera / Galliera / Roger-ViolletPour les matières vestimentaires, les fibres de laine et de coton sont remplacées par des poils de lapin, de cheveux ou de chien, mélangées à des ersatz (fibranne, rayonne).
Les fabricants et les femmes « auto-modistes » développent un sens de la débrouillardise inimaginable: des bretelles de pantalons deviennent une bandoulière de sacs chez Lanvin, les bas de soie sont remplacés par des produis de teinture Elizabeth Arden. Le turban permet de retenir les cheveux non entretenus et de dégager le visage des femmes à vélo. Les sacs se doublent de fonds pour cacher des tracts ou des banderoles tricolores et se Foulard reproduisant la carte de France à l'usage des aviateurs Alliés, 1940-44. Sergé de soie imprimé (c) Galliera / Roger-Violletportent en bandoulières pour monter sur sa petite reine. Les aviateurs alliés portent des foulards dont le revers représente une carte détaillée de la France. Dans le même temps sont produits des foulards à l’image de Pétain. Les accessoires sont indéniablement un outil de propagande politique.
Dans ces années de privation, l’humour est une question de survie. Hermès crée un carré A la Gloire de la cuisine française, Line Vautrin une ceinture représentant des petites bouteilles d’alcool Les Flocons de l’ivresse (1943). Les Parisiennes doivent rester avant tout élégantes, maître mot de la période pour défendre l’image de leur ville, dont la couture est renommée internationalement. Une manière également de provoquer l’occupant.

Le cinéma, les théâtres et restaurants rouvrent. Seuls lieux chauffés, ils accueillent une clientèle mondaine qui n’hésite pas à frayer avec l’ennemi. Les recettes du cinéma triplent entre 1937 et 1943. Les actualités sont sifflées, les spectateurs leur préférant les films romanesques. Parmi les chefs d’oeuvre de l’époque figurent L’Assassin habite au 21 (1942, Henri-Georges Clouzot), Les Visiteurs du soir (1942, Marcel Carné) et Les Enfants du Paradis (1945, Marcel Carné).

Di Mauro. Sandale en daim 'Les Quatre Grands', décorée du drapeau des Alliés, 1944 (c) S. Piera / Galliera / Roger-ViolletA la Libération, les femmes relèvent leur chapeaux, dont la taille s’est épanouie, alors qu’ils étaient « petits (bibis, toques, tambourins) et très inclinés sur le front, généralement du côté droit, au début de la guerre », précise Fabienne Falluel, commissaire de l’exposition (conservatrice en chef au musée Galliera). Les Parisiennes portent des calots et des sandales décorés des drapeaux français, américain, anglais et soviétique.
Les accessoires se parent de motifs commémoratifs: broches en forme de jeep, avion ou char, foulards évoquant le débarquement, boutons ornés d’une croix de Lorraine ou d’un coq. Cartier et Van Cleef & Arpels remplacent l’oiseau en cage par un oiseau libéré. Jeanne Lanvin lance l’écharpe Liberté…Liberté chérie.

Une exposition dense et richement documentée, dans un musée qui se fait oublier au-dessus de l’activité frénétique de la gare Montparnasse. Un bel hommage aux Parisiennes, qui ont su allier mode et résistance, même en eaux troubles.

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Une réponse à Pendant la guerre, les femmes font plus qu’elles ne suivent la mode

  1. guillaume danielle dit :

    j’ai pris connaissance de cette exposition en regardant le reportage à télématin et j’ai la ferme intention de me rendre à Montparnasse, accompagnée de mes deux petites filles et même d’une amie de mes petites filles ! je suis née en 43 à Paris, j’ai eu la chance d’avoir un entourage qui m’a parlé de cette époque et dans le respect de tous celles et ceux qui trouvaient le moyen de « vivre ».

    Merci à celles et ceux qui ont su conserver ces témoignages vestimentaires et celles et ceux qui ont réalisé cette exposition

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