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La Renaissance à Prato

Filippo et Filippino Lippi

Jusqu’au 2 août 2009

[fnac:http://plateforme.fnacspectacles.com/place-spectacle/manifestation/Exposition-FILIPPO-ET-FILIPPINO-LIPPI-LIPPI.htm]

Musée du Luxembourg, 19, rue de Vaugirard 75006

Ironie certaine, le père Filippo (1406-1469) et fils Filippino Lippi (1457-1504), réputés pour leur vie dissolue, réalisent les plus religieuses des oeuvres de la Renaissance à Prato (Toscane, Italie)! L’exposition que leur consacre le musée du Luxembourg illustre l’influence des Lippi dans l’avènement d’un style novateur, la Maniera et le foisonnement artistique et intellectuel qui règne à Prato à la fin du XIVe siècle. Avant que cette ville de Toscane ne s’éclipse devant sa rivale, Florence, dominée par les Médicis.


Située à 15km de Florence, Prato connaît un développement économique primordial entre le milieu du XIVe et le début du XVe siècle grâce au commerce du textile et au développement des affaires. Cet essor engendre d’importantes commandes de la part des civils comme des ecclésiastiques et participe à la création d’un réseau d’échanges politiques et artistiques entre Prato et Florence.

La concomittance de la présence d’artistes aussi réputés que Filippo Lippi et celles d’architectes, sculpteurs, ciseleurs, maîtres en marqueterie explique la « Renaissance » de Prato.

Profondément dévote, la ville se caractérise par de nombreux édifices religieux: églises, couvents, confrèries, oratoires et tabernacles. Elle possède au sein de la cathédrale St-Etienne les précieuses reliques de la Vierge Marie, acheminées depuis Jérusalem.

Filippo Lippi, frère carmélite, est nommé chapelain du couvent Sainte Marguerite de Prato en 1456. Célèbre pour l’intensité de ses portraits et la précision de ses profils, on lui commande aussitôt la Vierge de la Ceinture entre saint Thomas et la commanditaire Bartoloma de’ Bavacchiesi et les saints Grégoire, Augustin, Tobie, Marguerite et l’archange Raphaël (vers 1456/60) – oeuvre exposée pour la seconde fois au monde. Ce tableau compose le panneau principal du retable de l’église. D’où la présence des nombreux saints et des couleurs chatoyantes – or, rose, rouge et orange (cf. la tunique de Tobie), une teinte rare pour l’époque. La toile est enrichie de riches ornements végétaux, dont le sol qui représente un pré – symbole de la ville de Prato.
La commanditaire de l’oeuvre, bien que vêtue d’un costume sobre, est reconnaissable dans la partie inférieure droite de la toile, à sa position traditionnelle: vue de profil, à genoux, mains jointes en signe de prière. Sous les traits de sainte Marguerite, patronne du couvent, les experts ont tenté d’y reconnaître la religieuse augustine Lucrezia Buti, enlevé – avec son consentement – par Filippo Lippi. Les deux amants sont libérés de leurs voeux par le Pape Pie II, grâce à l’intervention de Cosme de Médicis. Cette histoire fait autant scandale qu’elle inspire les poètes de l’époque. De leur union naît Filippino, certainement représenté sous les traits de Tobie dans ce retable.

Lucrezia pourrait également apparaître sous les traits de Marie dans la seconde oeuvre clef de l’exposition, réalisée par Lippi père et son proche collaborateur Fra Diamante, Nativité avec saint Georges et saint Vincent Ferrer (vers 1456). La scène représente trompeusement la nativité avec l’étable, l’âne et le boeuf, Joseph, saint Georges. Mais, l’image se révèle non narrative ; il s’agit en réalité d’une scène d’adoration de l’enfant, dont les traits sont bien ceux d’un humain. Elle illustre le mystère de l’incarnation, point théologique le plus important de la religion chrétienne: pourquoi Dieu a-t-il choisi de s’incarner dans la finité de l’homme?
Filippino, intègre très jeune l’atelier de son père et participe notamment, dès l’âge de douze ans, à l’achèvement des fresques du Duomo (cathédrale)de Spolète (Ombrie, centre de l’Italie) inachevées par son père.
Il complète sa formation en passant par l’atelier de Sandro Boticelli (évoqué dans l’exposition par Christ en croix, vers 1496), qui lui-même avait été formé par Filippo. Synthétisant les styles des deux maîtres, Filippino est décrit par l’artiste et historien d’art, Giorgio Vasari, comme « un peintre plein de talent et de charmante invention » (1568).

Les oeuvres de Filippino se caractérisent par l’expression d’une tension mystique (Vierge à l’Enfant avec saint Etienne et saint Jean-Baptiste, 1503, exposée pour la première fois), doublée « d’implications ésotériques liées à la culture archéologique de son temps », commente la co-commissire de l’exposition, Cristina Gnoni Mavarelli. « Sa peinture exerça sur ses contemporains une influence déterminante, en particulier par l’utilisation récurrente des grotesques qui ouvrit la voie à l’émergence de la Maniera« .
En atteste le retable de la salle de l’Audience (1503), déplacé de son lieu d’origine pour la première fois.

La dernière partie de l’exposition révèle l’importance des sculpteurs de l’époque en mettant en valeur les autels à dévotion privée. Citons notamment la Vierge à l’Enfant adorée par deux anges (1415/20) attribuée à Donatello (1386-1466). Les bras des anges sont croisés en signe d’humilité, leurs corps sinueux contrastent avec la droiture et la lourdeur du drapé de la Vierge. Le corps de celle-ci s’intègre parfaitement dans la niche tandis que celui des anges arrivent pile à mi-hauteur de l’autel. La petite main de l’enfant est posée tendrement sur le sein de sa mère, qui lui soutient les pieds pour l’aider à se tenir debout. En haut de la niche, deux prophètes regardent la scène – concrétisation de leur prophétie. Donatello joue du contraste de lumière par des effets de relief. Il applique le procédé qu’il a mis au point dans les années 1420 pour créer une illusion de profondeur. Cette technique dite du méplat consiste à comprimer les figures dans l’épaisseur de la sculpture et à utiliser la perspective linéaire pour créer un effet d’espace, composé de plusieurs plans superposés. Plus tard, l’oeuvre du sculpteur, imprégnée du Maniérisme ambiant, jouera des effets dramatiques: ses personnages gesticuleront de manière poussée, exprimant un certain pathos.

Pour Maria Pia Mannini, directrice du musée municipal de Prato et co-commissaire de l’exposition, les oeuvres conservées dans ce musée, fermé pour travaux et dont la collection est accueillie temporairement à Paris, représentent « ‘les trésors de la ville’, soit les meilleures peintures florentines ou pratoises, réalisées sur bois ou en fresque entre le Trecento [Pré-Renaissance] et la Renaissance ». Pour elle, l’art produit à Prato s’est certes incliné devant celui de Florence. Mais il prouve sa grandeur par l’existence de grands maîtres tels Filippo et Filippino Lippi et a su garder une autonomie, un caractère local qui le rend unique dans l’histoire de la peinture.

Une rare occasion de voir les oeuvres du musée municipal de Prato, souvent négligé par rapport à la Galerie des Offices de Florence. Néanmoins, dans le thème de la Renaissance italienne, j’ai été plus sensible au raffinement des oeuvres de la collection Lindenau du musée d’Altenbourg, actuellement exposées au musée Jacquemart-André.

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