Site icon Artscape

Les multiples incarnations romantiques de Juliette Drouet

Juliette Drouet & Victor Hugo: « Mon âme à ton coeur s’est donnée… »

Jusqu’au 4 mars 2007

Maison de Victor Hugo, Hôtel de Rohan-Guéménée, 6 place des Vosges 75004
01 42 72 10 16, Entrée libre pour la collection permanente, exposition: 7€

Juliette Drouet, née Julienne Gauvain (1806-1883), dont la Maison de Victor Hugo célèbre le bicentenaire, reprend vie le temps d’une riche exposition qui s’attèle à présenter brillamment les différents rôles que joua « Mlle Juliette » auprès du grand écrivain romantique, Victor Hugo (1802-1885).

Orpheline à deux ans (1808), Julienne est sauvée de l’hospice de Fougères (Ille et Vilaine) par son oncle René-Henry Drouet, officier à la retraite. Après l’avoir recueillie un temps, le vieil homme la confie aux dames de Sainte-Madeleine, dont le couvent est situé rue Saint-Jacques, à Paris.

Pourtant, la jolie adolescente n’est pas faite pour les ordres. Julienne se lance dès lors à l’aventure, avec pour seul gage, sa beauté… Après quelques années restées obscures, elle prend des cours de dessins auprès du peintre Pierre-Joseph Redouté (1759-1840). En 1825, elle devient la muse du sculpteur Jean-Jacques – dit James – Pradier (1790-1852). Ensemble, ils auront une fille, Claire.
Mais le grand rêve de Julienne est de monter sur les planches, ce qu’elle fait à Bruxelles, où elle devient une petite star sous le pseudonyme de « Mademoiselle Juliette » (1828).

C’est dans ce contexte que Juliette rencontre Victor Hugo, lorsqu’elle est choisie pour interpréter la princesse Negroni, dans la première à succès de Lucrèce Borgia au théâtre de la Porte Saint-Martin (1833), à Paris.
Bien que marié depuis 1822 à son amie d’enfance, Adèle Foucher, qui lui a donné quatre enfants – Léopoldine, Charles, François-Victor, Adèle – Victor Hugo se prend de passion pour Juliette.

Ils deviennent amants la nuit du 16 au 17 février 1833.
Une date qui a son importance car on la retrouve à plusieurs reprises dans l’oeuvre de V. Hugo. Cosette se marie ce jour-là avec Marius dans Les Misérables (1862). Catarina et Rodolfo se retrouvent un 16 février dans la pièce Angelo, Tyran de Padoue (1835), journée I, scène 4.
L’exposition présente le billet original du 16 février que Juliette écrivit à Victor: « Viens me chercher ce soir chez Me K. Je t’aimerai jusque là pour prendre patience – et ce soir oh! ce soir ce sera tout! Je me donnerai à toi toute entière. J. »

Le bref succès théâtral que connaît Juliette s’éteint lorsqu’elle accepte de jouer le rôle de Jane dans la pièce de son amant, Marie Tudor. Sifflée le soir de la première, elle est remplacée dès le lendemain. Résultat d’une conspiration jalouse autant que d’une réelle piètre interprétation de Juliette.

Hugo lui demande alors instamment de ne plus jamais remonter sur scène en échange de sa protection (1839). Les deux signent un contrat moral de mariage qui va faire de Juliette une femme de l’ombre.

Bientôt Victor, homme jaloux et possessif, confine Juliette dans son appartement. Elle n’a plus le droit de sortir seule. Soumise, mais en complète adoration pour son dieu hugolien, la jeune femme devient sa dévouée prisonnière.

Pour compenser cet enfermement social, Hugo emmène Juliette en voyage estival. Bretagne, côtes normandes – représentées par des tableaux d’Eugène Isabey, Richard Parkes Bonington, et Victor Hugo lui-même dans de magnifiques lavis et plume sur papier -, bords du Rhin qui donnera Le Rhin (1842), Espagne, etc., apportent une bouffée d’air à Juliette et l’inspiration à Victor. C’est en effet la vue de la mer qui « remue en nous des abîmes de poésie » (Hugo au peintre Boulanger) et sur les rives du Rhin que naissent les grands thèmes hugoliens: paysages et villes au bord de l’eau, tours en ruine, bourgs.

Dans la tourmente politique de février 1848 – Paris se couvre de barricades – Juliette n’hésite pas à sortir pour observer les bouleversements de la rue. A la demande d’Hugo, elle tient un journal de l’insurrection que Victor reprend parfois mot pour mot dans Choses vues.

Victor Hugo n’apprécie guère le coup d’Etat de Louis-Napoléon Bonaparte du 2 décembre 1851. Il passe l’arme à gauche et prend la tête du comité de résistance des républicains. Il appelle le peuple à se soulever contre ce hors-la-loi de Bonaparte! Heureusement pour sa tête, Juliette parvient à se procurer les papiers d’identité d’un ouvrier et le fait enfuir en Belgique (11/12/1851). Juliette l’accompagne dans cet exil politique. Elle est responsable de la copie des manuscrits d’Hugo pour les fournir à son éditeur.

Le couple à trois – Hugo reste avant tout le mari d’Adèle – s’enfuie avec les enfants à Jersey puis Guernesey. Les ventes fructueuses des Contemplations (1856) permettent à Victor d’acheter deux maisons anglo-normandes – Hauteville House pour y loger Adèle et un peu plus bas, Hauteville Fairy pour y abriter Juliette. Hugo et Juliette se plaîsent à chiner dans les brocantes (cf. la reconstitution du salon chinois au deuxième étage de l’Hôtel de Rohan-Guéménée) et l’imagination visionnaire du romancier l’amène à détourner la finalité du mobilier, dominé par deux tendances – néogothique et extrême-orientale.

Après dix-neuf années d’exil pendant lesquelles Juliette a pu jouir de la présence continue de son amant, ils rentrent dans un Paris qui brûle, comme en témoigne une magnifique toile de Camille Corot, Le Rêve: Paris incendié (septembre 1870).

Rongée par le cancer, Juliette a néanmoins le courage de continuer à organiser des dîners politiques, littéraires et artistiques pour Hugo, rue Eylau, qui sera consacrée avenue Victor Hugo du vivant de l’auteur. C’est ici que meurt Juliette (1883), deux ans avant son « Toto », qui a inlassablement incarné « son poète, sa religion, sa foi ».

Une expositon dans la pure veine romantique qui recrée l’atmosphère poétique des romans hugoliens avec une emphase sur les nombreuses lettres enflammées que s’échangèrent les deux amants, des tableaux remarquables, le tout dans un lieu historique qui résulte de la donation des collections de Paul Meurice, ami de Victor Hugo, et des petits-enfants de ses derniers. C’est leur rendre honneur à tous que de prendre le temps de visiter cet écrin de la place des Vosges, autrefois appelée place Royale.

Quitter la version mobile