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L’expressivité plastique d’Emil Nolde

Emil Nolde (1867-1956)

Jusqu’au 19 janvier 2009

[fnac:http://plateforme.fnacspectacles.com/place-spectacle/manifestation/Exposition-EMIL-NOLDE-1867-1956-EMIL.htm]

Galeries nationales du Grand Palais, 3, avenue du Général Eisenhower 75008, 10€ (entrée gratuite de 19h30 à 1h15 lors de la Nuit Blanche, le 4 octobre 2008)

Emil Nolde? Quasiment inconnu en France, Emil Nolde (1867-1956) représente pourtant un artiste majeur de l’Expressionnisme allemand, mouvement artistique qui a marqué le début du XXe siècle par son intensité émotionnelle. La Réunion des Musées Nationaux organise dans la galerie du Grand Palais une première rétrospective qui illustre l’évolution chromatique et les différentes techniques mises en oeuvre par Nolde. Sublime.


Quatre vingt-dix peintures et soixante-dix aquarelles, gravures et dessins, présentés selon un parcours chronologique et thématique, offrent un panorama exhaustif de l’oeuvre singulière d’Emil Nolde.

Par une esthétique visuelle farouche, mettant en avant le grotesque des hommes civilisés opposé à la douceur des peuples primitifs – l’artiste prend volontairement le contrepied de la vision de son époque – et l’harmonie universelle de la nature, E. Nolde se distingue de ses contemporains en introduisant une dimension fastastique, inspirée des contes allemands. Comme l’illustrent les deux premières oeuvres de l’exposition dont Géants de la montagne (1895/96), refusé par le jury de l’exposition annuelle de Munich.

Parallèlement, l’artiste s’inscrit dans le courant moderne de l’Expressionnisme et retient l’influence des Post-impressionnistes, tels Seurat, Degas, Gauguin, Van Gogh, du Fauve Matisse ou encore de l’avant-garde Expressionniste Munch, que Nolde rencontre fin 1907.
Citons pour exemple les oeuvres tachistes Couple sur la plage, les portraits de primitifs (Famille papou), un ciel étoilé et des tournesols – ceux de Nolde sont plantés pour exprimer la force jaillissant de la terre -, l’hommage à la Danse – art considéré par Nolde comme le plus expressionniste (Danseuses aux bougies) – et un autoportrait à la Munch (Autoportrait, 1917).

D’abord sculpteur ornemaniste sur bois, Emil Nolde vient tardivement à la peinture. Il peint son premier tableau à l’âge de 30 ans et commence à vivre de son travail à partir de 40 ans seulement. D’où son urgence à pratiquer différents styles pour trouver sa personnalité artistique.

Formé à Munich, Karlsruhe, Berlin, Emil Nolde fait un bref passage à l’Académie Julian à Paris. Déçu par les Impressionnistes, pas assez concrets pour lui, il passera presque un an au Danemark dont la lumière scandinave imprègne ses premières oeuvres (cf. Mer, atmosphère lumineuse, 1901).

La vente de cartes postales tirés d’aquarelles représentant les monts suisses personnifiés permet à Nolde de s’affranchir de son poste d’enseignant de dessin industriel, arts décoratifs et modelage au musée de l’Industrie et de l’Artisanat de Saint-Gall (Suisse).

L’artiste s’installe avec son épouse, la comédienne et musicienne danoise Ada Vilstrup, à Guderup, sur la côte sud de l’île danoise Alsen. Sur la plage, il construit une cabane en bois qui deviendra son atelier d’exilé à la fin de sa vie. Emil, né Hansen, prend le patronyme de son village natal, Nolde, à la frontière germano-danoise. Il symbolise ainsi son attachement à cette terre nourricière – élément fondamental dans sa peinture.

Alors que le peintre traverse une période difficile – Ada est atteint de la tuberculose et Emil ne vend pas – comme en attestent les oeuvres sombres de la deuxième salle, les jeunes artistes de die Brücke (Le Pont), fascinés par « la tempête de couleurs » des oeuvres de Nolde l’invitent à devenir membre actif de leur groupe, fondé en 1905.

Cette invitation agit comme un catalyseur pour l’artiste qui trouve enfin son chemin. Emil laisse exploser ses impressions intérieures en des coloris virulents (cf. Jardin de Trollhois, 1907; Devant la clôture verte, 1907). E. Nolde va bien plus loin que l’art « immédiat et authentique » préconisé par le Brücke. Il détermine les compositions, les formes et les couleurs qui reflètent au mieux son imaginaire. « Acuité visuelle maximale. Voilà, très précisément, ce qui caractérise la peinture de Nolde » écrit Angela Lampe dans le catalogue de l’exposition.

Cependant, la collaboration avec die Brücke dure peu. En 1907, Emil et Ada, qui s’occupe de la diffusion des oeuvres de son mari, se retirent du groupe. Emil reproche au Brücke de mal gérer ses propres intérêts et de ne pas s’ouvrir suffisamment à l’art international.

Un brin opportuniste, Nolde devient membre de la Sécession de Berlin (1908) – sa première oeuvre exposée à cette occasion, Jour de moisson (1905), ne trouve place qu’au-dessus des toilettes! – avant de s’opposer à son hégémonie. Emil souhaite créer une union de jeunes artistes issus de tous les pays, Die Zeitgenossen (Les contemporains), avec pour mentor Munch qui réunirait Hofer, Beckmann, Rohlfs, Schmidt-Rottluff, Amiet, Matisse, Puy, les Suédois Gustav Viegeland, Carl Milles, Axel Törneman. Mais Munch ne répond pas à l’appel et cette union ne verra jamais le jour.

Qu’à cela ne tienne, Emil Nolde participe aux expositions de la Nouvelle Sécession entre 1910 et 1912, même s’il n’en est pas un membre fondateur. Cependant, là encore, son attachement au groupe durera peu. Après des déboires avec le président Max Liebermann, Nolde est exclu du mouvement.

Echappant de peu à un empoisonnement avec de l’eau non potable, l’artiste peint dans un état fiévreux une importante série d’oeuvres religieuses: La Cène, Le Christ aux outrages, Pentecôte, Crucifixion. Il représente les personnages bibliques selon l’idée qu’il se fait des populations méditerranéennes (il avait effectué un voyage en Italie en 1905). Les traits primitifs du Christ, les couleurs antinaturalistes de La Mise au tombeau (1915) font rejeter ces oeuvres fortement mystiques par le public. A la fois imprégné par son éducation religieuse protestante et par un certain paganisme, Emil Nolde donne la priorité à l’expression des sentiments – la naissance d’un fils – sur l’aspect religieux, sacré. Ce pourquoi, il refuse d’appeler son polyptique La Vie du Christ (1911-12) un retable. Chez Nolde, l’expression artistique prime toujours.

Parenthèse dans sa vie recluse, le séjour d’Emil et de son épouse à Berlin donne lieu à une dizaine d’oeuvres représentant la vie nocture de la « mégalopole ». Homme de la campagne, Nolde ne se sent pas à l’aise dans le milieu urbain, lieu de plaisirs et de déchéance par excellence. Se plaçant en simple observateur, disant ne pas vouloir juger, Emil Nolde traduit la lumière artificielle des cafés par des couleurs violentes. Le mauve des toilettes, le jaune des teints fardés, s’opposent au noir des tenues de cérémonies masculines (cf. Au café, 1911). Un contraste qui est malheureusement mal rendu par la couleur trop prune des murs de l’exposition – seule faute de parcours scénographique.

En 1911, Nolde fréquente le musée ethnologique de Berlin où il aime représenter les sculptures et masques d’Océanie, d’Afrique et d’Amérique précolombienne (cf. Figures exotiques II, 1911). Deux ans plus tard, l’artiste est invité par l’office colonial du Reich à participer à une expédition médicale et démographique dans les mers du Sud – le régime s’inquiète de la baisse de natalité des populations autochtones, servant de main d’oeuvre aux planteurs et coloniaux. L’artiste est choqué par le rapt des puissances coloniales à l’encontre des richesses artistiques et culturelles. « Tout l’enthousiasme qu’inspirent aux Européens la mission et le progrès matériel ne peut faire oublier le fait qu’ils sont surtout aveuglés à ce qu’il y a de plus précieux », écrit-il au Bureau colonial du Reich. « Les hommes primitifs vivent dans leur nature, ils ne font qu’un avec elle et sont une partie du cosmos tout entier. J’ai parfois le sentiment qu’eux seuls sont encore de véritables hommes, et nous quelque chose comme des poupées articulées, déformées, artificielles et pleines de morgue ». Au delà des formes, Emil Nolde traduit dans ses huiles et aquarelles l’expression primitive, originelle des hommes. L’artiste renforce la frontalité de ses portraits et cadre au plus près les personnages (cf. Deux Russes II, 1915).

Si le peintre adhère à un parti local National Socialiste et suscite l’admiration secrète, du moins un temps, de Goebbels qui détient des oeuvres de Nolde dans son appartement privé, Emil fait partie des artistes classés « dégénérés » par le Reich. Mille cinquante-deux oeuvres de Nolde sont confisquées aux musées allemands, plusieurs sont brûlées à Berlin par les Nazis, parmi 5000 autres, le 20 mars 1939.

Interdit de peindre, Nolde ne trouve plus de matériel. Il réalise néanmoins un millier de petites aquarelles sur des papiers de récupération qu’il dénomme « oeuvres non peintes » – définition littérale d’une oeuvre qui ne peut ni doit exister. Ces oeuvres représentent des visions intérieures oniriques, dans lesquelles même les objets inanimés, tel un cheval à bascule jaune, prennent vie. Les paysages, quant à eux, traduisent une harmonie universelle, symbolisée par le moulin – eau, vent, nuages jouent chacun leur rôle -, et l’attachement de l’artiste à sa terre natale, rurale, passée aux mains des Danois par le Traité de Versailles (1920).

Réfugié à Seebüll, Emil Nolde peint ses dernières oeuvres. Des marines qui seront les plus symbolistes de ses oeuvres (cf. Mer d’Automne VII et IX, 1910). Le dernier mur de l’exposition met en valeur l’évolution esthétique de Nolde avec des représentations de la mer entre 1913, 1930 et 1948. L’élément marin, comme la force de la terre, est fondamental pour l’artiste. Il trouve plus d’inspiration dans sa cabane – symbolisée dans la scénographie de l’étage supérieur par un grand meuble et des structures en bois – au bord de l’eau qu’à Berlin. L’artiste s’éteint à Seebüll, « exilé dans son propre pays », où une fondation voit le jour, selon ses dernières volontés.

« Cette exposition vise à constituer le socle de reconnaissance du travail d’Emil Nolde, dont les collections françaises ne posèdent qu’une seule oeuvre, au Musée national d’art moderne et quelques gravures au musée de Strasbourg. Et, dans un second temps, suciter l’envie d’approfondir les recherches universitaires au sujet de ce peintre, à l’oeuvre à la fois grinçante et sereine », résume Sylvain Amic, conservateur en chef du patrimoine au musée Fabre de Montpellier et commissaire de cette ambitieuse exposition.

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