Jusqu’au 15 septembre 2009
[fnac:http://plateforme.fnacspectacles.com/place-spectacle/manifestation/Exposition-VALADON—UTRILLO-VALUT.htm]
Pinacothèque de Paris, 28, place de la Madeleine 75008, 9€
Couleurs des toiles de la mère, blancheur de celles de son fils; célébration de la vie par l’une, misanthropie de l’autre. La Pinacothèque de Paris confronte les oeuvres de Suzanne Valadon (1865-1938) à celles de son fils Maurice Utrillo (1883-1955) et analyse les nombreux chassés-croisés qui s’opèrent au sein de ce « couple » hors norme. Incarnation des inquiétudes de la société de l’époque, au tournant du XXe siècle.
Née de père inconnu, Suzanne Valadon (de son vrai nom Marie-Clémentine Valade) donne naissance dès ses 18 ans à Maurice Utrillo-Valadon, sans qu’elle en connaissance le père non plus. Elle le nomme Utrillo, d’après le nom de son amant de l’époque – un jeune catalan qui se dit journaliste-poète.
Jolie femme, Suzanne court les cabarets et les ateliers où elle pose comme modèle. Notamment pour Puvis de Chavanne (Bois sacré, 1884), puis Renoir et Toulouse-Lautrec. Par l’intermédiaire du sculpteur Paul Bartholomé, elle rencontre Degas, qui remarque ses talents de dessinatrice et lui apprend les rudiments de l’art.
La jeune femme croque les portraits de son fils, nu, ses voisines et amies qui veulent bien poser pour elle. Ses premières oeuvres révèlent l’influence de Degas avec des visages sans traits expressifs et des poses reflétant des activités quotidiennes (Nu se coiffant, à la toilette, etc.). Degas pousse son élève à se présenter à la nouvelle société nationale des beaux-arts (1894), où elle est alors la seule femme à exposer. Il la reconnaît artiste à part entière en avouant qu’elle « est des nôtres! ». Beau compliment de la part d’un irascible!
N’ayant pas le temps de s’occuper de Maurice, Suzanne le confie à sa mère, Madeleine. De nature troublée et en manque d’amour parental, le jeune homme alterne les crises où il demeure silencieux dans un coin avant de laisser éclater sa colère et de tout briser sur son passage.
Bientôt Madeleine ne peut plus contrôler son petit-fils. Paul Moussis, premier mari de Suzanne entre 1896 et 1911, l’envoie en asile psychiatrique lorsqu’il atteint la majorité. De fait, Maurice a subi un choc psychologique et tombe dans un alcoolisme suicidaire. Son ami André Utter, avec qui il peint dans la pure tradition impressionniste la nature de Montmagny – période dite de Montmagny (avant 1909) -, devient l’amant puis le mari de sa mère.
Jaloux et se sentant trahi, Maurice quitte la nature pour se réfugier en ville, dans le quartier montmartrois. Peintre d’extérieur, il s’adonne subitement aux représentations urbaines, avec un regard topographique. « Je veux élever des murs, je veux faire le maçon; puis je ferai le charpentier, le couvreur: c’est quand tout est bien en place, avec sa couleur générale, sa couleur de dessous, que je finis avec les détails ».
M. Utrillo incarne l’image du peintre maudit comme on peut alors se le représenter à l’époque. Les artistes ne sont plus ces fils de bonne famille qui pratiquent l’impressionnisme par défi de l’Académie des beaux-arts. Ils sont d’origine sociale populaire, arrivent souvent d’Europe de l’Est et sont de confession juive. Ils forment ce que l’on appelle l’Ecole de Paris à partir des années 1910. Maurice en est un pionner puisqu’il commence à peindre dès 1908. Mais c’est lui qui fait figure d’étranger par ses origines franco-françaises!
Il se rapproche de Modigliani par un même sentiment de malédiction qui les anime. Surnommé « Litrillo », tant il est dépendant de l’alcool, Maurice ruine sa carrière en échangeant ses toiles contre n’importe quel litre de mauvais vin. Après le succès d’une vente aux enchères en 1914 (La Peau de l’Ours) qui le rend célèbre, Utrillo tombe de manière fulgurante dans la déchéance, comme l’a connue Van Gogh quelques décennies auparavant.
Cette rivalité entre mère et fils est d’autant plus surprenante que chacun ne se prive pas d’admirer le talent de l’autre. Suzanne se dit jalouse et malade du ciel « si pur, si léger, si fluide », de Maurice. Tandis que lui-même fait l’éloge du génie de sa mère: « […] c’est toujours pour moi un immense plaisir de voir ou même de revoir les admirables oeuvres qu’elle peint avec tant de génie, car c’est une artiste de tout premier ordre, et qui peint merveilleusement bien et avec tant de sincérité […] (Lettre à Berthe Weil, 1921).
Des relations complexes que met finement à jour l’exposition de la Pinacothèque à travers l’audacieuse présentation, orchestrée par Jean Fabris, commissaire de l’exposition et détenteur du droit moral de M. Utrillo, des oeuvres de deux artistes oubliés de la postérité.