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Nouveau décor pérenne de Anselm Kiefer au Louvre

Anselm Kiefer au Louvre

Jusqu’au 7 décembre 2007

Musée du Louvre, Aile Sully, escalier Nord, 1er étage de la Colonnade, 75001, 01 40 20 55 55, 9€ (6€ les mercredi et vendredi à partir de 18h)

Le musée du Louvre poursuit sa politique d’intégration d’oeuvres du XXIe siècle en proposant à Anselm Kiefer (récemment exposé au Grand Palais avec Monumenta) de concevoir un décor pour combler l’un des rares espaces vierges du Louvre. C’est chose faite avec la peinture géante Athanor et deux sculptures entreposées dans des corniches attenantes, Danaé et Hortus Conclusus. Monumental!

Cinquante ans après Georges Braque, et deux ans avant Cy Twombly (pour la salle des Bronzes) et François Morellet (pour l’escalier Lefuel), un artiste contemporain s’attelle à réaliser un nouveau décor pour le Louvre. Anselm Kiefer a été chargé de couvrir le mur au-dessus de l’escalier de la Colonnade, en forme de nef. Tel un vitrail géant, Athanor s’expose à la lumière de la fenêtre qui lui fait face. Pour mieux communier avec le thème que cette oeuvre aborde – la « traversée des frontières » (Jean-Pierre Vernant).
L’oeuvre a été réalisée dans l’atelier de Barjac (sud de la France) de l’artiste. Elle a été montée sur quatre panneaux, que l’on décèle à peine, eux-même accrochés sur une structure porteuse, qui a été enfin installée au Louvre.

Athanor – terme qui définit le four alchimique permettant de fabriquer la pierre philosophale -, représente en effet un rite funéraire sous une pluie de constellations (cf. Sternenfall), deux thèmes récurrents dans l’oeuvre de Kiefer.
Au premier plan, un homme nu, allongé sur le dos, les bras le long du corps, légèrement écartés, comme dans la position du Yoga dite « posture du cadavre » (shavasana), est dans un état de veille, de semi-inconscience, à mi-chemin entre le sommeil et la mort.
Cette position rappelle celle de son oeuvre hommage à Ingeborg (Nebelland) de Monumenta. Oeuvre qui faisait référence à l’Egypte antique. Or, le décor de Kiefer au Louvre se trouve justement à la croisée des salles dédiées à l’Egypte et aux Antiquités.
Du centre vital de l’homme (le hara, à quelques centimètres sous le nombril) s’élève une verticale qui atteint une sorte de boule de feu alors que tout autour se dilate un ciel sombre, constellé d’étoiles, et de traces de voies lactées.
Le sol sur lequel repose l’homme – sorte d’avatar de Kiefer – est argileux et craquelé. Il est irrigué par des coulées de plomb qui tracent une ligne verticale. A mi-hauteur figure une autre ligne verticale, de couleur argent, et tout en haut une dernière ligne apparaît dorée. Sur la partie droite de l’oeuvre, l’artiste a tracé de sa main, les mots (de bas en haut) nigredo, albedo, rubedo. Nom des trois couleurs de l’alchimie – noir, blanc, rouge – correspondant au plomb, à l’argent et à l’or. D’où vient immédiatement cette citation de Racine: « Comment en un plomb vil l’or pur s’est-il changé? » (Athalie, III, 7).
Kiefer, lui, reprend volontiers ces mots de Kant: « le ciel étoilé au-dessus de nous, la loi morale en moi ». Car, pour l’artiste, le corps humain est un microcosme relié au macrocosme ; les forces de l’univers sont en nous. L’art peut dès lors être perçu comme un lien entre le monde terrestre et le monde céleste, entre le réel et l’imaginaire. L’oeuvre d’art devient la matrice de cette métamorphose, le lieu de la transformation des éléments, le passage d’un état à l’autre.
Concrètement, cette ambivalence se traduit dans la fabrique de la peinture, dans sa matérialité composée de lourdeur et de légèreté.

Les deux sculptures placées en vis à vis dans les niches de l’escalier renvoient également à la notion de mutation. Danaé relève de la mythologie grecque. Cette déesse qui a été enfantée « magiquement » par Zeus déguisé en pluie de pièces d’or, comme l’a été Marie par Dieu – symbolisé ici par la sculpture Hortus Confondus, « le jardin clos », autrement dit, le Paradis – est incarnée par un tournesol (autre élément récurrent dans l’oeuvre de Kiefer), désséché. Il est planté dans une pile de livres calcinés – thème qui renvoie à Fahrenheit 451 (1953) de Ray Bradbury et au nazisme (cf. les livres de plomb de la maison N°6 de Monumenta). Des pétales de tournesol sont tombés sur les livres – le savoir vu comme source de renaissance (mon interprétation!). Ou/et d’après la commissaire, Marie-Laure Bernadac, une manière de rendre hommage aux femmes, qui selon Kiefer sont les seuls réceptables du savoir, car elles sont, au sens propre et figuré, génératrices de vie.

Communion avec le divin, parallèle entre mythe et religion, telle est la quintessence de ce décor qui ne manquera pas de vous inspirer à votre tour.

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