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L’iconographie officielle et ses usages populaires

Les Grands Hommes vus d’en bas
Gradhiva, n°11, mai 2010, 238p., 20€

Revue présentée en présence des auteurs le 24 juin 2010, à 18h, au salon de lecture Jacques Kerchache (accès libre et gratuit dans la limite des places disponibles)

Faire tomber la chemise! Voilà à quoi l’on pourrait détourner de manière amusante la thématique du numéro 11 de Gradhiva, revue (très sérieuse) d’anthropologie et d’histoire des arts, éditée par le musée du quai Branly. Les auteurs y analysent l’iconographie des « grands hommes », non pas d’un point de vue officiel, mais « par le bas ». En clair: comment les images des hommes d’Etat, sont-elles ré-appropriées par le commun des mortels? Ecrits dans un langage vernaculaire, les articles sont tout simplement passionnants et surprenants…


Imaginez un indigène recouvert d’une tenue végétale, portant le masque de Jacques Chirac, se trémoussant au cours d’une cérémonie de Bwete (village Agondje, province de l’Estuaire) au Gabon…

Si cette image exotique prête à sourire pour un Occidental, les tribus autochtones ne lui accordent pas moins toute la déférence qu’il convient d’allouer à (ancien) Président de la République. Comme l’explique, Julien Bonhomme, emprunter l’image d’un officiel Blanc permet aux indigènes de s’approprier un pouvoir lointain. Devenu idole domestique, Jacques Chirac dont la grandeur physique autant que symbolique est diminuée par sa fétichisation, acquiert une taille plus humaine, moins intimidante.

Pour Nicolas Jaoul, cette analyse vaut également pour les statues d’Ambedkar (1892-1956), principal rédacteur de la Constitution indienne. Toujours de petite taille, les répliques populaires d’Ambedkar reprennent le style de la statuaire hindoue de bazar, avec leurs couleurs bariolées, conférant au grand homme un air sympathique.
Dans les milieux populaires, Ambedkar est d’ailleurs surnommé « Docteur Babasahab », formé à partir de sahab (terme de déférence réservé aux maîtres blancs) et de baba (terme affectueux pour grand-père). Là encore, il ne s’agit pas de ridiculiser le pouvoir en s’appropriant une iconographie officielle mais bien de le rendre plus proche.

Le cas semble plus ambigue avec les Tlingit, selon Nicolas Menut. Ces Indiens d’Alaska ont sculpté la figure d’Abraham Lincoln (1809-1865) au sommet d’un mât totémique (2nde moitié du XIXe siècle). Si pour les Blancs, cet acte dénote un comportement révérencieux à l’égard du président américain et légitime ainsi la mise sous tutelle des Indiens, ces derniers avancent une explication plus nuancée. Selon eux, il s’agirait plutôt de tourner en ridicule le grand homme. Or qui, des Blancs ou des Indiens, a le monopole de l’interprétation ?

Cette question amène le cas étudié par Frédéric Maguet du célèbre portrait photographique du Che. L’image du Guerrillero Heroico a été déclinée en une variété de produits commerciaux et a servi de supports publicitaires, dénués de toute considération politique. L’auteur du cliché, Alberto Korda, a alors pris la parole pour dénoncer cette exploitation publicitaire qui a transformé un héros de la révolution en une icône de la pop culture – le comble pour un révolutionnaire marxiste – et relier ainsi le portrait d’un homme à l’idéal politique pour lequel il s’était battu.

Le dossier se termine sur la réaction, en retour, des hommes d’Etat face à l’appropriation de leur image officielle. S’il a été avancé que Jacques Chirac aurait profité de la sympathie engendrée par sa marionnette aux Guignols de l’info lors des élections de 1995, Nicolas Sarkozy a beaucoup moins apprécié la sortie d’une poupée vaudou à son effigie. Il s’agissait de la piquer avec un jeu d’épingles assorti (analyse de Jeanne Favret-Saada, 2009)…

Une revue à découvrir au plus vite, illustrée de photographies de qualité et d’articles pointus, sans verser dans un intellectualisme précieux.

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