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Regard humaniste sur la réalité des Antilles

Denise Colomb aux Antilles (1948-1958) – De la légende à la réalité*

Jusqu’au 27 décembre 2009

[fnac:http://plateforme.fnacspectacles.com/place-spectacle/manifestation/Exposition-DENISE-COLOMB-AUX-ANTILLES–DENIS.htm]

Jeu de Paume – Hôtel de Sully, 62, rue Saint-Antoine 75004, 5€

Connue pour son portrait de Nicolas de Staël qui révèle de manière prémonitoire sa fragilité (l’artiste se suicidera peu après), la photographe centenaire Denise Colomb (1902-2004) fait l’objet d’une rétrospective à l’Hôtel de Sully (Jeu de Paume) sur l’autre volet de son oeuvre photographique: les Antilles. Loin des images paradisiaques mises en avant par les institutions touristiques, D. Colomb montre la vie quotidienne, entre jeux et pauvreté, douceur de vivre et ségréation raciale. Des images humanistes à valeur de carnet de voyage spirituel.

Née Loeb, Denise adopte le patronyme « Colomb » pour échapper à la Gestapo (1940). Elle est la soeur du galeriste Pierre Loeb qui donne son prénom à sa galerie parisienne (1924). Pierre lui donne accès aux artistes dont elle tire des portraits qui la rendront célèbres (Artaud, Staël, Picasso, Giacometti, Calder, Masson, Miro, Braque, Ernst, Duchamp, Delaunay, Le Corbusier, Dubuffet, Zao Wou-ki, Mathieu, Soulages, etc.).

Aimé Césaire, élu député-maire de Fort-de-France (poste qu’il occupe pendant 48 ans), découvre les photographies de Denise Colomb qu’elle a rapportées d’Indochine. Lors de ce premier voyage exotique, Denise, qui a épousé l’ingénieur du génie maritime Gilbert Cahen (1926) envoyé en mission à Saïgon, s’essaie à la photographie ethnographique. Une passion qu’elle poursuivra jusqu’à la fin de sa vie.
En 1946, la Martinique, la Guadeloupe, la Réunion et la Guyane deviennent des départements français – A. Césaire est le rapporteur de cette loi votée à l’unanimité. Deux ans plus tard, pour célébrer le centième anniversaire de l’abolition de l’esclavage, Césaire demande à Denise de faire un reportage sur les Antilles. Ses photographies sont exposées à la galerie Pierre en 1949.
En 1958, D. Colomb retourne aux Antilles suite à une commande de la Compagnie générale transatlantique.

L’exposition, scindée en deux, expose les tirages d’époque de ces deux voyages. La première partie porte sur la vie de la population locale. Son labeur dans les champs de canne à sucre, ses baraques en tôle en guise d’habitation tandis que les propriétaires, venus de métropole, disposent de maisons coloniales imposantes. Mais aussi les jeux, les danses, les sourires qui compensent la dureté du quotidien.

La seconde partie, à visée touristique, montre une nature luxuriante, des plages sauvages qui contrastent avec l’exploitation de la terre révélée en début d’exposition, des cocotiers et palmiers – emblèmes des paysages tropicaux, générateurs de rêves.
Certaines photographies ont été numérisées pour être tirées en couleur alors que Denise Colomb, comme la génération de photographes humanistes de Robert Doisneau à Willy Ronis, s’est imposée avec le noir et blanc.

Les photographies de 1948 sont particulièrement émouvantes. L’artiste parvient à capter dans le regard de ses sujets des émotions patentes. Une telle expressivité des sujets photographiques est rare.
Non seulement, l’artiste maîtrise la composition des lignes urbaines et naturelles (feuillage de la végétation, qui crée des lignes de fuite) – une série de planches permet d’ailleurs d’observer comment elle recadrait ses photos. Mais, elle sait également équilibrer avec justesse les tons entre le gris, le blanc et le noir.
Une photographie parfaite était pour elle une image qui donnait « la chair de poule ». Ou une palpitation cardiaque.

* Le sous-titre est emprunté à l’article d’Aimé Césaire illustré de photographies de Denise Colomb et publié dans Regards (7 avril 1950).

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