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Un nouvel événement dédié à l’art contemporain: Monumenta

Monumenta 2007: Chute d’étoiles de Anselm Kiefer

Jusqu’au 8 juillet 2007

Nef du Grand Palais, Avenue Winston Churchill 75008, 4€

Créé sous l’impulsion du Ministère de la Culture et de la Communication, en particulier de la Délégation aux Arts Plastiques, Monumenta se veut un événement grandiose – comme le revendique son titre – avec un credo international, et novateur en terme de médiation. Un concept qui fait suite au développement des études d’un public, de plus en plus consommateur d’art.


Avec des horaires qui s’inspirent de ceux du Palais de Tokyo – midi/minuit du jeudi au dimanche, 10h à 20h le lundi et le mercredi (fermé le mardi) – et un prix d’entrée bas (4€ comprenant l’audioguide et l’accès à la programmation culturelle du jour), l’idée est d’attirer un public hétéroclite, qu’il soit connaisseur ou amateur d’art, adulte ou enfant (nombreux ateliers scolaires et pratiques). L’ambition des organisateurs va plus loin encore, en espérant que le visiteur reviendra plusieurs fois voir Monumenta et participera au forum de discussion ouvert sur le site internet.

Monumenta offre un espace gigantesque, la nef récemment rénovée du Grand Palais avec son architecture spéciale de verre et d’acier, à un artiste de renommée internationale – cette année, le français d’adoption Anselm Kiefer – qui expose pendant six semaines. L’année prochaine, le sculpteur américain Richard Serra prendra le relai, suivi en 2009 du Français Christian Boltanski.

Anselm Kiefer (né en 1945, à Donaueschingen, Allemagne) a choisi pour titre de cette première exposition Sternenfall (Chute d’étoiles). Un nom qui annonce toute l’ambiguïté et la dialectique de l’oeuvre de l’artiste. Celui-ci aime jouer sur les contrastes entre terre et ciel, vie et mort, l’émotionnel et l’intellectuel, le béton armé et la fragilité de la nature végétale. Une oeuvre qui s’appuie sur un canal de références littéraires, philosophiques, mythologiques, religieuses, historiques. Une oeuvre très dense donc qui est là non pour être simplement regardée, comme peut l’être la peinture, mais pour provoquer une réaction qui mobilise tous les sens du visiteur, pour le forcer à réagir, à se secouer, et in fine voir ce qui est essentiel. Pas une vérité universelle, mais au contraire une perspective qui est propre à chacun, en fonction de son histoire personnelle qui découle de l’histoire mondiale, et de son système de réflexion. « Ce qui est gratifiant pour un artiste, c’est lorsque quelqu’un, que cela soit un économiste ou un macro-biologiste, voit quelque chose à laquelle vous n’avez jamais pensé. Ca, c’est le bonheur », commente l’artiste affable.

Néanmoins, encore faut-il disposer d’un minimum de clés pour appréhender l’oeuvre d’un artiste aussi démiurge. En voici quelques unes.

L’exposition se compose de sept « maisons » et de trois sculptures géantes.
Les maisons sont des reproductions des abris géants qui occupent les 35 ha de l’atelier nature de l’artiste – un terrain et une colline dans le sud de la France, à Barjac, où Kiefer vit et travaille depuis 1994. Ces constructions, toutes revêtues à l’extérieur de tôles ondulées, abritent en leur sein des installations géantes.
Deux d’entre elles rendent hommages aux poètes Paul Celan (1920-1970), d’origine juive, et l’Autrichienne Ingeborg Bachmann, (1926-1973), tous deux engagés, à l’instar de Kiefer, dans le travail de la mémoire, contre l’oubli de la Shoah. Artiste allemand, Anselm Kiefer affronte le passé germanique nazi à bras le corps pour s’en exorciser.

L’hommage à Ingeborg (maison N°1, appelée Nebelland ou Pays de brouillard) prend ainsi la forme d’une immense toile représentant, de manière inhabituelle, un corps étendu à l’intérieur d’une pyramide – l’artiste s’inspire également de l’Egypte antique – dans une position de yoga appelée « la position du cadavre ». La poitrine semble ouverte, avec son coeur extrait – matérialisé par un coeur en argile qui pend un peu plus haut. D’où réflexion sur les rites sacrifiels aztèques, sur le passage entre la vie et la mort.

L’hommage à Paul Celan (maison N°2, appelée Geheimnis der Farne ou Secret des fougères), oppose un bunker et un herbier géant composé de feuilles de fougères. Car d’après une légende allemande, celui qui mange des graines de fougères à la Saint Jean devient invincible et invisible – l’objectif d’un bunker. Opposition de la nature et de la civilisation, de la guerre, donc de la mort, et de la vie, fragilité de l’élément végétal contre dureté du béton armé, sont autant de pensées qui émanent à la vue de cette installation. En dehors des citations qui ponctuent l’oeuvre picturale de Kiefer, l’artiste fait appel à des matériaux communs à Celan: la cendre, la paille, le sable ou les cheveux.

Puisque le visiteur est appelé à créer son propre parcours, à la fois visuel, émotionnel et intellectuel, je ne commenterai que deux autres oeuvres qui m’ont marquées.

La maison N° 5, appelée Voyage au bout de la nuit, en référence au célèbre livre de Louis-Ferdinand Céline (1894-1961). A l’intérieur, trente tableaux représentent des bateaux, type bombardiers de la Seconde Guerre mondiale, voguant sur une mer de rouille, et rappellent la descente aux enfers de Bardamu ou la « logique du pire » dixit Kiefer.

Enfin, la maison N°6, reprend une citation de la Kabbale – autre grande source de référence de l’artiste – « Shevirath hà kelim » (le bruit des vases brisés). Elle contient une drôle de bibliothèque, composée de livres de plomb et de plaques de verres, posées de manière acrobatique afin qu’elles se brisent au cours de l’exposition. Opposition de la transparence du verre et de l’opacité du plomb, de la fragilité de l’un contre la lourdeur de l’autre. Ces livres de plomb m’ont évoqué les livres calcinés par les Nazis. Ils matérialisent aussi la chute d’étoiles (titre initial de l’installation et titre général de l’exposition) et renvoient à la structure de la nef, faite de verre et de plomb.

Quant aux sculptures, deux d’entre elles représentent des tours de béton allant jusqu’à 12m de haut (à l’origine, 17m de haut mais l’artiste en a décidé autrement au cours du chantier de l’exposition). L’une d’elle s’érige sous la voûte du Grand Palais, telle la tour de Babel ou un mirador. L’autre, renversée, laisse place à un paysage de gravas, en ruine, prémonition de ce qui attend la tour précédente. Mais cette tour brisée est percée de la lumière découlant de la nef, nourrissant l’Espoir. D’où son nom Verunglükte Hoffnung (Espoir accidenté).
La dernière sculpture représente un vaisseau, un bateau soleil (Sonnenschiff) – titre qui fait référence une nouvelle fois à I. Bachmann. Un soleil concrétisé par des tournesols géants – motif cher à Van Gogh.

L’oeuvre de démesure d’Anselm Kiefer est un « théâtre de la mémoire » (Daniel Arasse, historien d’art). Elle appelle à la recherche d’une quête identitaire via un réseau de références passées, multiples et cosmogoniques. Car seul l’affrontement du passé permet de construire un avenir commun. L’artiste, ancien élève de Joseph Beuys, est évidemment marqué par les atrocités de la Shoah et doit faire face à la question de comment créer après cette destruction massive et inhumaine, pourtant perpétrée par des hommes, qui plus est, des compatriotes. Une oeuvre démiurge pour absorber une atrocité aussi monumentale et lutter de toutes les forces de l’art contre les viles sinuosités de l’oubli.

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