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La joie de vivre de Dufy

Raoul Dufy – le plaisir

Jusqu’au 11 janvier 2009

[fnac:http://plateforme.fnacspectacles.com/place-spectacle/manifestation/Exposition-RAOUL-DUFY–LE-PLAISIR-DUFY.htm]

Musée d’Art moderne de la Ville de Paris, 11 avenue du président Wilson 75116, 9€

« Raoul Dufy est plaisir ». A partir de cette citation de l’écrivain américain Gertrude Stein, le musée d’Art moderne de la Ville de Paris a organisé une importante rétrospective de l’oeuvre de Raoul DUfy (1877-1953), centrée sur le pouvoir des couleurs de l’artiste pour célébrer la vie.

Première exposition monographique dans une institution muséale parisienne depuis la mort de l’artiste, « Raoul Dufy, le plaisir » fait écho à la monumentale Fée Electricité, réalisée en 1937 pour l’Exposition Internationale des Arts et Techniques, exposée conjointement au MAM.

Le parcours de l’exposition se déroule de manière chronologique et passe en revue l’évolution stylistique du maître, de ses années fauves (1906/07) à ses séries de fin de vie qui reprennent des thèmes qui lui sont chers: les paysages maritimes marqués de cargos noirs, les ateliers, la musique.

Les plages de Sainte-Adresse (non loin du Havre natal de l’artiste) représentent l’un des paysages le plus souvent étudié par Raoul Dufy et constituent le paroxysme de sa tentation fauve. En 1904, l’artiste est en effet profondément marqué par Luxe, calme et volupté de Matisse. « Devant ce tableau, j’ai compris toutes les nouvelles raisons de peindre et le réalisme impressionnisme perdit pour moi son charme, à la contemplation du miracle de l’imagination introduite dans le dessin et la couleur. Je compris tout de suite la nouvelle mécanique picturale. »

Dufy s’intéresse alors au paysage mais presque toujours – contrairement aux Fauves – dans ses scènes populaires. Ainsi représente-t-il la baie maritime de Sainte-Adresse en prenant compte des badauds en canotier et redingote, des pêcheurs de crevettes, des spectateurs regardant une régate (cf. La Plage de Sainte-Adresse, 1901, La Baie de Sainte-Adresse, 1906).
« Arrivé devant un motif quelconque de plage, je m’installai et me mis à regarder mes tubes de couleurs et mes pinceaux. Comment, avec cela, parvenir à rendre, non pas ce que je vois, mais ce qu’est, ce qui existe pour moi, ma réalité. »

A partir de 1908, Raoul Dufy radicalise sa pratique picturale. Fasciné par les « préoccupations exclusives de la technique » de Cézanne, ses compositions opposent les mats verticaux des bâteaux (cf. Les Barques aux Martigues, 1908) ou l’architecture des maisons (cf. Bateaux à quai à Marseille, 1908) aux courbes des coques. Dufy empreinte à Cézanne la touche directionnelle, qui définit le volume de l’objet en fonction de son orientation dans l’architecture générale de la toile.
Si dans un premier temps sa gamme chromatique reste variée et chaleureuse (vert, orange, bleu, rose), l’artiste la restreint à l’ocre et au vert lorsqu’il s’installe à l’Estaque (printemps 1908). Rejoint par Georges Braque, les deux compères travaillent en tandem sur une quinzaine de toiles qui suivent l’évolution stylistique des Fauves (en particulier chez Derain): le « renoncement aux sortilèges de la couleur pour imposer un mur d’austérité et de discipline constructive ». Mais là encore la touche personnelle de Dufy se glisse dans la composition: l’arabesque décorative. Ainsi des arcades d’un pont (cf. Arcades à l’Estaque), d’une balustrade (cf. La Maison dans les arbres, 1908), des branches de palmier.

Entre 1908 et 1913, Raoul Dufy systématise sa technique de géométrisation du paysage en associant une architecture de « petits cubes », telles les habitations de Sainte-Adresse réhaussées de toits pointus (cf. Les Maisons rouges à Sainte-Adresse, 1910) à des lignes en courbe (dunes de sable). Les couleurs s’étendent de l’orange, jaune au bleu et vert, et restent chez Dufy éclatantes. Même pendant la période sombre de la Grande Guerre.

La luminosité des couleurs de Raoul Dufy – il se distingue en cela de G. Braque – se retrouve dans sa pratique de l’aquarelle, qu’il pratique dans les années 1920 (série sur le Maroc en 1926) et 1930 (série sur Venise en 1938). Même ses gravures semblent lumineuses grâce à sa maîtrise de l’opposition entre le noir et blanc (cf. ses planches préparatoires pour Le Bestiaire ou le Cortège d’Orphée, 1908/10).

Raoul Dufy étend sa pratique artistique à la réalisation de tissus pour Paul Poiret et l’entreprise de soierie lyonnaise Bianchini-Férier. Il réalise à ce compte environ 3000 compositions à l’aquarelle réhaussée de gouache (1910 et 1930), avec des motifs de fleurs pour l’habillement et des motifs marins pour l’ameublement. Comme pour sa pratique de la céramique, grâce à sa collaboration avec l’artiste catalan Josep Llorens Artigas (1892-1980), la recherche de compositions pour le tissu n’est qu’un prétexte pour travailler sa gamme chromatique et laisser libre cours à son imagination.

A partir des années 1930, le style de l’artiste devient plus synthétique (cf. Plage à Sainte-Adresse, 1935/45) mais gagne en fluidité dans ses compositions (cf. La Baie des Anges, Nice, 1932). L’immensité de la mer est rompue par l’ajout de multiples motifs: vaguelettes, baigneurs, voiliers. Le bleu devient la couleur dominante.
« Le bleu est la seule couleur qui, à tous ses degrés, conserve sa propre individualité. Prenez […] le bleu à ses diverses nuances, de la plus foncée à la plus claire, ce sera toujours du bleu, alors que le jaune noircit dans les ombres et s’éteint dans les clairs, que le rouge foncé devient brun et que, dilué dans le blanc, ce n’est plus du rouge, mais une autre couleur, le rose. »

Le bleu des pronfondeurs marines qui s’assombrit au centre du tableau annonce la série des cargos noirs des années 1950. Ces bateaux, évocant le port industriel du Havre, sont réduits à la simplicité formelle d’une cocotte en papier. Pour autant ces masses noires donnent le ton de la composition, un ton qualifié d' »ambiant » par l’artiste. Quelques détails colorés balançent la sombritude des dernières oeuvres. Mais détrompez-vous! Il ne s’agit nullement de l’expression d’une quelconque humeur pessimiste de l’artiste. Le « noir du bateau à l’intérieur du trait qui le délimite apparaît à l’oeil beaucoup plus intense que celui qui l’entoure et qui est pourtant […] un noir exactement de la même force ». Ce noir intense traduit tout simplement l’éblouissement du soleil à midi.

Comme pour mieux justifier cette insatiable joie de vivre de Raoul Dufy, l’exposition se termine sur ses hommages lumineux à ses compositeurs préférés: Bach, Debussy, Mozart -. Que des compositeurs dont les sonorités musicales s’accordent avec l’éclatante liesse des gammes chromatiques électriques de Dufy.

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