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La musique de Pierre Boulez s’immisce au Louvre

Oeuvre: Fragment – Exposition conçue avec Pierre Boulez

Jusqu’au 9 février 2009

[fnac:http://plateforme.fnacspectacles.com/place-spectacle/manifestation/Musee-MUSEE-DU-LOUVRE–tarif-journee–MULO1.htm]

Musée du Louvre, Aile Denon, 1er étage, salles d’arts graphiques Mollien, Entrée par la pyramide, 75001, 9€

Après le décor pérenne d’Anselm Kiefer, le musée du Louvre entreprend une collaboration avec Pierre Boulez, compositeur et chef d’orchestre. Exposition de dessins, de partitions et extraits musicaux appréhendent les notions d’inachevé et de fini, tant au niveau plastique que musical. Une corrélation pertinente qui permet de dresser un portrait original de l’artiste.

Pierre Boulez nous livre son analyse de l’oeuvre fragment en piochant dans les réserves du Louvre des exemples éclairants sur la question de l’esquisse et de l’oeuvre achevée.

L’esquisse ou dessin préparatoire s’oppose naturellement à l’oeuvre aboutie. Mais certaines esquisses disposent d’une autonomie propre; « elles résistent à la dissolution et peuvent même nous intéresser – au moins temporairement – plus que le produit achevé », explique en exergue de l’exposition, Pierre Boulez.

GENESE

A partir d’un poème de Mallarmé (Un Coup de Dés jamais n’abolira le Hasard), Pierre Boulez décrypte la notion de « forme-spirale » – un des aspects de l’oeuvre fragment, autrement dit, de l’oeuvre composée de formes fragmentaires. Telles les esquisses romantiques de E. Delacroix (Nombreux personnages autour d’une table et un cavalier, 1829) jusqu’à celles abstraites de V. Kandinsky (Dans le cercle, 1911/13).

E. Delacroix opère un raccourci entre l’esquisse – la genèse de l’oeuvre – et sa version aboutie en pratiquant un style alliant tout à la fois celui de l’esquisse, de l’ébauche et du tableau. Un siècle plus tard, F. Kupka (Abstraction, 1928/30) réduit la composition à son essence même; l’oeuvre achevée emprunte le langage elliptique de l’esquisse et exprime sa propre genèse.
La forme-spirale se retrouve musicalement chez A. Webern et R. Wagner. Dans Der Ring des Nibelungen  (L’Anneau du Nibelung), 1848/76, la structure circulaire de la composition est lisible dès la première feuille d’esquisse.

LA PARTIE ET LE TOUT

« Le propre du romantisme est non point d’avoir inventé le fragment, mais de lui avoir donné sa raison d’être » (P. Boulez). L’esthétique romantique confère au fragment une forme complète qui se réfère à l’infini. Dans la pratique picturale, cette notion de « forme-mosaïque » se traduit par un motif isolé (cf. Un îlot en pleine mer, de E. Degas, vers 1890) ou en petites unités (cf. Vague se brisant contre une falaise de E. Delacroix, vers 1849) qui pointe au-delà du cadre (cf. Sous-bois de Cézanne, 1882-84) et émancipe l’oeuvre de ses limites spatio-temporelles. Les paysages abstraits et l’architecture géométrique de P. Klee s’expriment en plans colorés qui donnent l’impression de s’étendre au-delà de la feuille. Au niveau musical, on retrouve cette idée chez L. Berio. Ses Sequenze pour instruments solistes composent des oeuvres fragments qui sont reprises dans une composition plus complexe.

Intermède musical. Un couloir enchanteur permet d’accéder à la suite de l’exposition. On peut y entendre Sur Incises (1996/98) de Pierre Boulez.

CONTINUITE ET RUPTURE

Pour le compositeur, la modernité prolonge a posteriori la tradition. On retrouve, en effet, ans les oeuvres de J.A.D. Ingres à W. de Kooning en passant par P. Picasso une même donnée fondatrice: la discontinuité. Certaines oeuvres modernes « sont une véritable juxtaposition de fragments », commente Pierre Boulez. Ce que l’on peut observer indéniablement dans Trois Femmes (1907) de P. Picasso ou Woman (1952) de W. de Kooning. L’expérimentation formelle se fait ici aux dépens de l’unité stylistique. On pourrait parler « d’esthétique du collage », bien qu’il n’y ait pas de collage au sens technique du terme, précise la commissaire de l’exposition, Marcella Lista.

Les oeuvres modernes se composent d’un ensemble de pièces fragmentées qui gardent chacune leur autonomie. Le Sacre du Printemps (1911/13) d’I. Stravinski constitue à ce titre une « oeuvre laboratoire », qui se traduit par des reprises, variations et répétitions. Une idée qui naît dès le XVIIIe siècle romantique comme l’attestent les études pour L’Age d’Or de Ingres.

L’OEUVRE EN SUSPENS

Pierre Boulez retravaille souvent ses oeuvres comme Visage nuptial (d’après les poèmes de René Char) qui a connu trois versions entre 1946 et 1989. Ces fragments, « porteu[rs] instables d’une trajectoire » diffèrent l’aboutissement de l’oeuvre. Un work in progress qui se retrouve chez A. Giacometti et J. Beuys dont les dessins présentent des traits hésitants qui reviennent sur eux-mêmes pour répéter un contour tout en le désagrégeant. La partition Amériques (1918/27) d’Edgard Varèse relève de ce même « inachèvement définitif ». Grâce à l’usage de la gomme qui dissous la matière et annihile le fini.

Pour répondre à la notion d’art total que l’on retrouve chez Wagner et dans cette exposition émotionnellement intense, qui mêle poésie, musique, et peintures, le musée du Louvre organise un programme pluridisciplinaire autour de « Pierre Boulez. Oeuvre: Fragment ». Conférence, colloque, concerts, musique filmée, séance pédagogique sont au programme de l’auditorium et des salles du Louvre. Pour plus d’informations, cliquez ici.

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