Site icon Artscape

Deux expositions sculpturales (I)

Masques – De Carpeaux à Picasso

Juqu’au 1er février 2009

[fnac:http://plateforme.fnacspectacles.com/place-spectacle/manifestation/Exposition-et-conference-VISITE-GUIDEE–MASQUES–DE-CARPEAUX-VGMAS.htm]

Musée d’Orsay, 1, rue de la Légion d’Honneur 75007, 9,50€

Avis aux amateurs de sculpture! Ne manquez pas ces deux bijoux d’expositions. La première, au musée d’Orsay, analyse le registre visuel du masque, cet objet de métamorphose destiné à dissimuler le visage. Il connaît en Europe, notamment en France, un succès considérable au tournant du XXe siècle. Il devient l’un des genres de la sculpture les plus récurrents mais, étrangement, le moins étudié.

La seconde, au musée du Louvre, expose les bronzes français (à suivre dans un prochain article).

PREMIERE PARTIE: LES MASQUES

L’exposition du musée d’Orsay présente une centaine de masques réalisés entre 1860 et 1910.
A la fin du XIXe siècle, le masque fascine autant qu’il dérange car il est associé à l »l’inquiétante étrangeté » (cf. Jean Carriès) Son statut est ambigu: il constitue soit une étape préliminaire dans la réalisation d’un portrait, telle une esquisse, soit une oeuvre définitive.

Dans les années 1870-1880, le genre connaît un renouveau d’inspiration lié à la vague japonisante. Au début du XXe siècle, les arts africains lui apporteront un troisième souffle (cf. Picasso, Derain).

Le masque correspond, selon la définition du XIXe siècle à la tête tranchée au milieu du crâne, incluant parfois la naissance du cou, les oreilles et la chevelure. Il isole les traits du visage, réduisant à la fois l’individu et mettant en exergue sa plus visible expression. L’un des défis du masque porte sur la restitution du regard, ou son absence.

Dans l’atelier, les masques de Rodin, Carriès sont omniprésents. Rodin dit à propos de L’Homme au nez cassé (1889): « Ce masque a déterminé tout mon futur travail, que j’ai gardé en esprit dans chaque chose que j’ai faite ». Hanako, comédienne japonaise venue en France, confie dans une interview en 1925: « Pendant que je posais, jour après jour, monsieur Rodin travaillait avec acharnement sur mon masque. Les yeux étaient la partie la plus difficile. Il finissait par s’énerver, et moi aussi. A l’aide d’un mirroir, je travaillais l’expression de mon regard, avant de poser, mais monsieur Rodin n’était jamais satisfait ». Si le masque constitue à l’origine pour Rodin la première étape d’un long processus créatif, à partir du visage d’Hanako, il devient une fin en soi et annonce sa démarche de fragmentation.

Les masques de carnaval, en accentuant l’aspect caricatural de la nature du masque, répondent à la définition de l’expression comique d’un visage définie par Henri Bergson comme « une grimace unique et définitive. On dirait que toute la vie morale de la personne a cristallisé dans ce système. Automatisme, raideur, pli contracté et gardé… » (1899).

Les masques mortuaires pérennisent les traits du défunt, acquérant dès lors le statut de relique.
Ils permettent de réaliser des portraits posthumes, peints ou sculptés, de manière fiable. Opération éprouvante tant pour la famille que pour le praticien, certains, comme Eugène Delacroix, avaient défendu « qu’on retint rien de ses traits après la mort ».
Le sculpteur David d’Angers (1788-1856) relate ainsi l’opération de prise du masque mortuaire de l’écrivain philosophe Félicité de Lamennais (1782-1854): « D’abord on a assis le corps. Un jeune homme avait la main sur la tête, afin de la maintenir, tandis que le mouleur passait de l’huile sur le visage. Ce jeune homme revenait d’Italie ; il parlait des grands hommes, de Michel-Ange, de Machiavel, etc.; il faisait de grands mouvements en parlant, alors on voyait mouvoir ce cadavre de côté et d’autre. […] Ensuite on a mis du plâtre sur le visage. […] Enfin, lorsqu’on a retiré ce masque de plâtre, la mâchoire s’est affaissée, et la bouche semblait crier ‘j’ai passé de bien pénibles instants' ».

Le masque de théâtre antique connaît une seconde vie décorative au XIXe siècle. Souvent tragique, il devient l’accessoire symbolique du portrait d’acteur, de librettiste ou de musicien.
Cette mode de l’Antique explique que la Gorgone [créature fantastique] Méduse devienne l’un des motifs privilégiés du masque à cette période. Méduse est une jeune fille violée par Poséidon dans un temple d’Athéna, est métamorphosée par cette dernière en monstre femelle hybride, à la chevelure de serpents. Gardienne de la frontière entre le monde des morts et des vivants, elle pétrifie quiconque rencontre son regard. L’Antiquité n’incarne plus seulement d’un idéal esthétique, mais devient source de forces surnaturelles et menaçantes.

Le parcours de l’exposition s’apparente à un cheminement dans une galerie réelle de portraits parfois imaginaires, séduisants ou menaçants, selon la fantaisie des artistes qui se prêtent à des expérimentations de matière. Une promenade artistique vibrante d’émotions.

Quitter la version mobile