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Le Fonds municipal d’art contemporain (Fmac) et Jean Carriès (1855-1894) au Petit Palais

Intrusions jusqu’au 6 janvier 2008
La matière de l’étrange jusqu’au 27 janvier 2008

Petit Palais, Musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris, avenue Winston Churchill 75008, 01 53 43 40 00, Entrée libre pour les collections permanentes et Intrusions, 9€ pour les expositions temporaires

Deux expositions étonnantes animent actuellement le Petit Palais. « Intrusions » propose une confrontation entre les oeuvres contemporaines du Fmac et les collections permanentes du musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris. Tandis que « La matière de l’étrange » nous fait découvrir un sculpteur hors pair oublié de la postérité, Jean Carriès. Education du regard et expérience de la beauté originale sont au programme.

INTRUSIONS

Un titre d’exposition qui s’inspire des paroles de Paul Valéry: « Toute grande nouveauté dans un ordre est obtenue par l’intrusion de moyens et de notions qui n’y étaient pas prévus » (Introduction à la méthode de Léonard de Vinci, 1894).

Pour célébrer les vingt ans du Fonds municipal d’art contemporain, qui a pris sa nouvelle dénomination en 1987 après avoir été appelé collections municipales (érigées à partir de 1816), le Petit Palais et le Fmac confrontent leurs collections respectives.
Pour mieux faire écho tant à l’héritage du passé qu’à l’imagination artistique du XXIe siècle.
Puisqu’un livret est offert à chaque visiteur pour mettre en lumière l’oeuvre des artistes contemporains et celle des Anciens, je ne vais pas paraphraser! De plus, tout l’intérêt de l’exposition repose dans le questionnement personnel que chacun de nous est susceptible de développer face à ces oeuvres. Sans les voir, mon commentaire deviendrait bien incompréhensible.
Par exemple, si je vous dis: « la galerie des Arts décoratifs propose un concert de techniques et de motifs précieux, où la tête en billes de Richard Fauguet et le skate-board en céramique de Bruno Peinado tiennent tête aux vases 1900, où la Vague pour Palissy de Johan Creten, ses plis, sa couleur, vibrent avec la dame aux singes de Camille Alaphilippe »; est-ce que cela vous parle? Rassurez-vous, le livret est autrement plus limpide que le dossier de presse et avec les oeuvres sous les yeux, toute confusion s’évapore!

L’objet de ce billet est de vous inciter à honorer cette politique d’ouverture au public d’oeuvres contemporaines qui sont habituellement cantonnées aux institutions municipales comme les bibliothèques, les écoles, les hôpitaux, les conservatoires, les mairies, etc.. Au sein du Petit Palais, ces oeuvres prennent une dimension tout autre et visent à « stimuler l’oeil et l’esprit de chacun », selon les mots de Gilles Chazal, directeur du musée.

La matière de l’étrange

Ici, le titre incarne l’oeuvre du sculpteur Jean Joseph Carriès (1855-1894) – contemporain de Rodin (1840-1917) mais éclipsé par la renommée du grand maître -, qui n’a cessé durant sa courte vie d’expérimenter la matière.

De ses doigts, parfois aidé d’un morceau de métal recourbé, Carriès modèle la terre et la cire. Ses empreintes sont visibles sur ses oeuvres. De même que les traces de superposition de matière ou les restes de plâtre. Pourtant, l’artiste est perfectionniste au point d’en mourir.
La couleur et les jeux de lumière sur la surface le fascinent. Lisses, heurtés, mats, luisants, grumeleux, ses plâtres révèlent des teintes rares, dans des nuances de vieux bois, d’ivoire, de cosse de châtaigne.

Jean Carriès travaille par séries. D’abord Les Désespérés – figures de bohême et de misère qu’il a croisées un jour et qui sont aujourd’hui analysées comme des autoportraits détournés de l’artiste misérable. Puis, des bustes de fantaisie et des portraits imaginaires inspirés de ses rêves (cf. Le Guerrier, avant 1884). Enfin, des animaux mutants telles ses Grenouilles dotées d’oreilles de lapin et d’ongles lacérés (1891).

Le succès qu’il rencontre lors d’une exposition organisée dans l’hôtel particulier de ses mécènes, Paul et Aline Ménard-Dorian, lui permet de changer de vie. Fuyant les mondanités parisiennes, il s’installe en 1888 en Puisaye (au sud-ouest du département de l’Yonne, en Bourgogne) pour devenir potier.

Il fait l’apprentissage du grès auprès des artisans locaux avant de réinventer cet art en s’inspirant du grès mat des objets japonais. En 1889, sa première exposition lui vaut la visite des collectionneurs de grès d’Extrême-Orient et de l’élite cultivée parisienne. Un succès qui se confirme lors du Salon de la Société nationale des Beaux-Arts de 1892.

A la fin de sa vie, il s’attaque à un projet gigantesque qu’il ne parvient à achever: la commande, en 1890, de Winnaretta Singer, riche héritière américaine, d’une Porte Monumentale ou Porte de Parsifal – sorte d’encadrement de porte évoquant le portail d’une cathédrale. Composée de plus de 600 carreaux de grès émaillés, cette structure gothique est recouverte d’animaux en métamorphose aux peaux visqueuses, de trognes ridées et de figures grimaçantes. Elle est ici, en partie, magnifiquement reconstituée.

La scénographie de l’exposition renforce la sombritude de l’oeuvre de Carriès. Les murs jouent le rôle d’ombre de la cathédrale Saint-Jean, à Lyon, où la sculpteur a passé sa jeunesse. Orphelin, à l’âge de six ans, il avait été recueilli par la soeur Callamand. Pour lui rendre hommage, Jean réalise un plâtre patiné de la Soeur (1888 ou avant).
Après la mort de sa propre soeur, Agnès, l’artiste reviendra peu à Lyon. Ville qui en est pourtant fière et l’appelle « l’enfant du pays ».

Le visiteur pourra apprécier le fait que seules quelques oeuvres trop fragiles soient placées sous vitrine. Les autres sont posées sur des tables afin de dialoguer directement avec le visiteur. De même, les masques sont accrochés « en apesanteur » de manière à pénétrer le regard du public. Cerise sur le gâteau, certaines oeuvres peuvent être effleurées! Le public est invité à expérimenter la différence de toucher entre le plâtre, la cire et le grès. Pour une fois que l’interdit est levé, profitez-en!

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