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Aragon et les artistes de son temps

Aragon et l’art moderne

Jusqu’au 19 septembre 2010

[fnac:http://plateforme.fnacspectacles.com/place-spectacle/manifestation/Exposition-ARAGON-ET-L-ART-MODERNE-ARAGO.htm]

L’Adresse musée de La Poste, 34, bd de Vaugirard 75015, 6,50€

Grand poète français, Louis Aragon (1897-1982) a été fin analyste des transformations picturales que connaît le début du XXe siècle. L’exposition présentée à l’Adresse musée de La Poste, « Aragon et l’art moderne », met en valeur le dialogue qu’Aragon avait instauré entre ses écrits et les arts plastiques. Elle aborde également la dimension politique de son oeuvre, toujours en images, avec sa défense du réalisme socialiste. Pour tenter de réévaluer la position du poète par rapport à un art jugé sans prétention.

1913: salon des Indépendants. Y exposent Delaunay, Léger, Chagall… Le jeune Aragon (16 ans) est bouleversé par les oeuvres présentées.

Quatre ans plus tard, il rencontre André Breton puis Philippe Soupault. En 1917, ils fondent la revue Littérature, et en 1924, le Surréalisme qu’ils perçoivent comme une « transformation intellectuelle de Dada ». A la fois littéraire et artistique, le mouvement a pour socle créatif l’inconscient. Les dadaïstes Max Ernst, Jean Arp, Man Ray, André Masson, Joan Miro, Yves Tanguy, Alberto Giacometti, etc., les rejoignent.

La première partie de l’exposition présente les oeuvres de ces artistes avec qui et sur qui dialogue Aragon. Ainsi écrit-il sur Miro: « Il est difficile de dire si les collages de Miro imitent sa peinture, ou si ce n’est pas plutôt sa peinture qui imitait par avance l’effet du collage, tel que Miro arrivait lentement à le pratiquer. Je penche pour cette dernière interprétation ».

Collage ou papiers collés – une découverte essentielle à l’initiative de Picasso et de Braque, dont L. Aragon analyse les conséquences sur la peinture dans La Peinture au défi (1930). Le propre appartement d’Aragon (56, rue de Varenne, Paris VIIe), dont une pièce est reconstituée dans l’exposition, s’apparente à un immense collage, en perpétuelle évolution.

Pierre Daix, biographe du poète, relève: « Aragon détecte ce qu’il a y a de plus révolutionnaire chez Dali ou Tanguy et écrit sur les Miro d’alors ce qu’on ne saura voir de leur modernité qu’au cours du dernier quart du XXe siècle ».

Pourtant, Aragon n’est pas critique d’art, il en déteste d’ailleurs le terme. « C’est un écrivain qui parle des peintres en amoureux de la peinture », affine Jean Ristat, légataire universel d’Aragon. « La peinture nourrit son écriture et on peut dire que pour lui la littérature ne va pas sans la peinture ».

A la fin des années 1930, les textes d’Aragon sur l’art portent sur le réalisme (cf. ses écrits sur Paul Signac* et Matisse). Notion qui évolue en réalisme socialiste lorsque l’écrivain participe, avec Malraux, au Congrès des écrivains soviétiques (1934).
Le réalisme socialiste soviétique exige de l’artiste « une représentation juste, historiquement concrète de la réalité dans son développement révolutionnaire, et a une double finalité, idéologique et éducative ». Cette position se développe en France sous l’impulsion du Parti communiste. Le poète exprime pour la première fois son soutien à l’art réaliste socialiste lors de l’exposition internationale de 1937 « Chefs-d’oeuvre d’art français ». Jusqu’à la fin de sa vie, il maintiendra son attachement à l’art réaliste qui correspond selon à lui à sa conception du monde. En dépit des critiques qu’il s’attire.
Ainsi, des années 1920 aux années 1940, Aragon opère un glissement du surréalisme au réalisme social. Car Aragon voudrait « pouvoir changer le monde de ses propres mains ».
Josette Rasle, commissaire de l’exposition, explique dans le catalogue: « Aragon soutient alors des artistes réalistes français comme Boris Tazlitsky, Bernard Lorjou, Mireille Miailhe, Gérard Singer, André Fougeron – jusqu’au jour où il reprochera à ce dernier de faire fausse route. Et pris, comme tant d’autres, du vertige soviétique, il en défend l’art, s’ingéniant à trouver des qualités plastiques à ce que Breton appelle, souvent avec raison, un champ de navets. Entre parenthèses, au même moment, Breton en soutient aussi quelques-uns ».

Toutefois, pour Sarah Wilson, professeur d’histoire de l’art au Courtauld Institute à Londres, l’art réaliste « a ses propres qualités: en opposition au simple photojournalisme contemporain, les peintures à l’huile réalistes, visuellement saisissantes, violemment colorées, du Pays des mines de Fougeron – les visages des mineurs sortant tout droit des photographies de Willy Ronis prises à Lens -, renforcent la tragédie quotidienne vécue par ces hommes. Les références aux martyrs de David ne sont pas seulement patriotiques mais rétrospectivement étranges, pour ne pas dire homo-érotiques: une célébration du corps musclé prolétarien à un moment d’impuissance politique (les communistes ont quitté le gouvernement en 1947). […] En France, le temps est sûrement venu pour une réévaluation de cet art par une génération plus jeune »…

* « Paul Signac fut le peintre de la mer et du soleil, le peintre des ports d’où l’homme regarde vers le large, le peintre des bateaux dont les voiles ont les mille couleurs de l’espoir. Paul Signac avait compris comme aucun autre la naissance des couleurs dans la nature, où un bout de toile et un bout de bois revêtent soudainement les prestiges des pierres précieuses ».

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