L’homme et le pouvoir par Gloria Friedman

Gloria Friedman, série Cabaret, Suicide, 2008. Fer, peinture (c) Photo André MorinGloria Friedman, Lune Rousse

Jusqu’au 1 février 2009

Musée Bourdelle, 16, rue Antoine Bourdelle 75015, 6€

Chaque exposition de  Gloria Friedman s’accompagne – et c’est devenu rare chez les artistes contemporains – d’un titre. Pour le musée Bourdelle, l’artiste allemande (née en 1950 à Kronach), installée en France, a choisi « Lune rousse ». Cet instant particulier d’une éclipse durant laquelle la lune disparaît provisoirement derrière son ombre. Seul subsiste un pourtour rouge brique peinant à éclairer un environnement qui prend dès lors des formes étranges. On parle également de lune rousse au début du printemps, lorsque la lune, par des nuits sans nuages, annonce des gelées qui feront roussir les jeunes pousses. Pouvoir, mystère, vie et mort sont au coeur de l’art sculptural de G. Friedman, à la fois monumental et léger.

Gloria Friedman, Monsieur X, 2008. Plâtre, résine, fer, tissu polyester (c) Photo André MorinLa première sculpture de l’exposition-performance de Gloria Friedman au musée Bourdelle donne le ton. Monsieur X, rivalise dans ses dimensions avec les Monuments aux libérateurs de l’Argentine (le Général Alvéar) et la Pologne (Adam Mickiewicz) du maître des lieux, Antoine Bourdelle (1861-1929). Mais la tête de Monsieur X, constituée d’une mappemonde, et ses habits, pantalon et mateau confectionnés à partir des drapeaux des pays membres du G8, le rapprochent des poupées burlesques de carnaval. Cet homme, à la fois puissant (il représente les Etats riches du monde) et anonyme (Monsieur X) rend compte de la logique d’opposition qui traverse l’oeuvre de l’artiste.
Avant cette série de personnages grandeur nature, créés depuis peu, l’artiste représentait les hommes d’Etat puissants en photographies dans lesquelles elle les associait à des pièces de charcuterie!

Artiste engagée et décalée, Gloria Friedman analyse la nature – perçue sous sa forme animale (cf. son bestiaire d’animaux empaillés appelés EUX (les regardants) qui ont investi l’atelier de Bourdelle), humaine ou paysagiste -, dans son rapport conflictuel avec le politique et l’économie. L’artiste est à la fois fascinée et répulsée par ces hommes omnipotents qui peuvent décider de la vie des gens. « Monsieur X sait tout et le monde lui appartient », commente G. Friedman. Face à lui un immense pantin – il est recouvert d’une photographie représentant une foule immense et impersonnelle – s’agite; métaphore d’une humanité gesticulant en vain.

Gloria Friedman, Le Parfait Amour, 2008. Plâtre, résine, fer, tissu (c) Photo André MorinTout aussi désenchantée apparaît la vision de Gloria Friedman sur l’amour. Qu’il s’agisse du couple d’écorchés Oryx + Crake (titre inspiré du roman de science-fiction de Margaret Atwood) – sculpture de câbles d’ordinateurs, animée d’un flux d’images brouillées émanant d’un moniteur au niveau du ventre du personnage féminin – ou du couple Le Parfait Amour, en plâtre blanc. L’homme, de blanc vêtu, porte dans ses bras…le squelette de sa promise, qui plus est, dotée d’un long nez rouge de Pinocchio! Une farce burlesque qui évoque les danses macabres peintes des XIVe et XVIe siècles ou plus récemment, et dans un autre registre, les personnages animés de Tim Burton.

Gloria Friedman, Hello!, 2008. Plâtre, résine, miroir (c) Photo André MorinAutre rapprochement surprenant et décalé: Hello!, – un gros oeuf en plâtre fissuré par lequel perce un crâne, dont les orbites sont recouverts de miroirs. Il repose sur le lit d’Antoine Bourdelle, tiré d’un tissu rose vif.

L’artiste semblerait donc voir la mort en rose. En atteste sa série Cabaret – un ensemble de squelettes graciles en métal rose ou mauve, dont l’un se pointe un révolver sur la tempe (Suicide).

Point d’orgue et bouquet final de l’exposition, le mur du fond de la grande salle comporte trois photographies de peintures paysagistes réalisées par trois chefs d’Etat aux plein pouvoirs: Winston Churchill, à qui l’artiste emprunte le titre d’un ouvrage pour cette installation – Painting as a Pastime (publié en 1950 et jamais traduit en français) -, Dwight Eisenhower et … Adolf Hitler. Peut-on juger une oeuvre en fonction de la signature de son auteur?

Oeuvre militante et personnelle – Gloria Friedman attache une grande importance au travail manuel et n’a que rarement recours aux nouvelles technologies qui pourraient lui faciliter la tâche d’exécution -, « Lune rousse » force le visiteur à porter un nouveau regard sur son environnement. Théâtralisé par ces manipulations artistiques mais ô combien lucide sur l’évanescence de la vie et son côté assurément extravagant, roussi.

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