« Le couturier des couturiers »

Dessin de Thayaht paru dans la gazette du Bon Ton, n°2, 1923Madeleine Vionnet, puriste de la mode

Jusqu’au 31 janvier 2010

[fnac:http://plateforme.fnacspectacles.com/place-spectacle/manifestation/Exposition-MADELEINE-VIONNET-MAVIO.htm]

Musée des Arts décoratifs, 107, rue de Rivoli 75001, 8€

Contemporaine de Coco Chanel (1883-1971) et de Paul Poiret (1879-1944), Madeleine Vionnet (1876-1975) se distingue par sa maîtrise de la coupe en biais et de l’art du drapé. Fervente adepte d’une esthétique grecque classique, cette « puriste de la mode » participe à l’émancipation du corps de la femme en le libérant du corset. Forte tête, figure majeure de la haute couture de l’entre-deux-guerres, M. Vionnet est considérée comme la Rolls des couturiers!

Robe du soir, été 1938. Les Arts décoratifs, Union française des Arts du Costume (c) Patrick GriesPartie de rien, Madeleine Vionnet a su se faire un nom, un grand nom, dans le milieu de la mode. Ou plutôt, puisque cette femme très indépendante n’aimait pas les caprices, l’éphémérité de la mode, dans le milieu sélect de la haute couture. « Ce que j’ai fait, ça n’était pas de la mode, c’était fait pour durer toute la vie » (extrait de l’interview imaginaire de M. Vionnet par Pamela Golbin, cf. catalogue de l’exposition).

Madeleine Vionnet naît dans le Loiret, dans une famille modeste. Après le divorce de ses parents, à l’âge de trois ans et demi, elle part vivre avec sa mère – une femme qui voulait travailler et a fondé le Petit Casino, à l’époque un célèbre café-concert de Paris -. A cinq ans, la petite fille est récupérée par son père. Ils s’installent à Aubervilliers.

Bonne élève, Madeleine quitte néanmoins l’école à 12 ans pour apprendre la couture chez la femme du garde champêtre. A 18 ans, elle passe outre-Manche pour apprendre l’anglais. Employée comme lingère, elle entre ensuite dans la maison de couture londonienne Kate Reily, où elle fait ses armes. Elle habille notamment la fille des Vanderbuilt pour son mariage avec le duc de Malborough. Cette femme élégante a aidé à faire fleurir l’attachement de Madeleine pour les belles choses. « Le goût, c’est un sentiment qui permet de faire la différence entre ce qui est beau et ce qui est laid! Cela se transmet de mère en fille. Mais certaines gens n’ont pas besoin d’être éduqués, ils ont du goût d’une façon innée. »

Robe du soir, été 1931. Les Arts décoratifs, Union française des Arts du Costume (c) Patrick GriesPourtant, « l’art de s’habiller demande du temps et de la patience », pense la jeune femme. Travailleuse, aimant l’effort – « quiconque crée doit peiner et souffrir » -, M. Vionnet entre chez les soeurs Callot, lors de son retour à Paris (1901). Une maison de couture prestigieuse. Tour à tour « jupière » et « corsagière », elle est nommée première d’atelier, à la tête d’une vingtaine d’ouvrières, directement sous les ordres de l’une des soeurs, Marie Gerber.
En 1906, Jacques Doucet l’embauche pour rajeunir sa maison. Mais la liberté de ton des créations de Madeleine, qui fait marcher les mannequins pieds-nus et les vêt de robes souples, portées à même le corps – sans corset – fait reculer le couturier.

La jeune femme décide alors de créer sa propre maison. Elle s’installe au 222, rue de Rivoli (1er arrondissement) en 1912.
« Pour moi, l’idée d’une robe est mentale. Je la conçois, je l’achève en rêvant, enfin, à force de la chercher, j’arrive à l’avoir dans la main ». Pour se faire, elle a recours non pas à un modèle humain mais à un petit mannequin de bois qu’elle drape, ajuste, défais jusqu’à sa pleine satisfaction. « Sur cinquante modèles, dix sont des ‘clous’ et m’arrachent un certain cri de triomphe, c’est le rêve réalisé, l’idée qui a pris forme; vingt peuvent supporter la critique et faire leur chemin; dix restent cachés dans les armoires pendant toute la saison et dix n’ont pu atteindre leur raison d’être…ils sont mort-nés. »

Madeleine Vionnet dans son studio avenue Montaigne, vers 1930 (c) DRLa Grande Guerre l’oblige à fermer les portes deux ans plus tard. Mais elle permet à ses ouvrières de travailler directement avec ses clientes. Ce qui permet à M. Vionnet de récupérer les deux, indispensables à son commerce, à la ré-ouverture de la boutique en 1918. Si les débuts avaient été ric-crac, Madeleine connaît le succès après guerre. Des clientes du monde entier commandent chez elle. Au point de devoir emménager dans un lieu plus spacieux, dans un hôtel particulier au 50, avenue Montaigne (8e). Le décorateur Georges de Feure aménage ses salons dans le style Art déco.

Avant-gardiste dans le style, M. Vionnet l’est aussi dans les moeurs. Mariée et divorcée deux fois, elle gère son entreprise dans un esprit social, peu commun pour l’époque. Son personnel bénéficie d’une cantine, d’un cabinet médical et dentaire gratuits, d’une crèche, de congés payés et de maternité plus avantageux que la législation en cours.

Elle s’implique dans la lutte contre la contre-façon en soutenant l’Association pour la défense des Arts Plastiques et Appliqués. Car « celui ou celle qui se procure de vrais modèles dans le but de s’enrichir sans se donner la moindre peine, est un voleur. »

En 1939, la couturière doit de nouveau fermer boutique en raison de la guerre. Madeleine a 63 ans et se met à la retraite.
Photographie de dépôt de modèle, collection hiver 1938. Les Arts décoratifs, Union française des Arts du Costume (c) DRM. Vionnet fait don à l’Union des Arts du Costume (1952) de 122 robes, 750 toiles patrons et 75 albums photographiques de copyrights, de livres de comptes et d’ouvrages issus de sa bibliothèque personnelle. Ce fonds est aujourd’hui conservé par Les Arts Décoratifs. Il a fait l’objet d’une restauration avant l’exposition.

La scénographie, pensée par Andrée Putman, propose les modèles dans des écrins de laque noire. Les jeux de lumière et de miroirs mettent en valeur le mouvement des coupes en biais, la fluidité des étoffes qui moulent ou drapent sans contrainte le corps féminin, la pureté des proportions (tel le nombre d’or antique) et la « vérité » du vêtement, réduit à sa plus simple expression.

« Chanel habille, Poiret fait parader, Vionnet sublime », résume la commissaire de l’exposition, Pamela Golbin.
Des formes sublimes, certes, certaines d’une incroyable modernité – en ce sens, M. Vionnet avait raison d’affirmer que ses créations étaient intemporelles -, mais les couleurs rappellent bel et bien que l’on est au début du XXe siècle. La couturière aime les couleurs pleines, du rouge qui évoquent les lèvres, des jaune, bleu, vert francs. Pas de demi-teinte. Pour autant, ses créations de mousseline (modèle 668), souffle de soie (modèle 4031), crêpe romain (modèle 4054), organdi (modèle 6105), velours et dentelle (modèle 4192) noirs sont à se pâmer!

NB: aucun des visuels destinés à la presse n’illustrent malheureusement la somptuosité de ces modèles.

Taggé .Mettre en favori le Permaliens.

Une réponse à « Le couturier des couturiers »

  1. on regrette juste de ne pas les voir en mouvement… :)

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *