De Claude Renoir à Pierre Arditi

Maurice Denis. La Boxe, 1918. Huile sur carton. Collection particulière (c) Catalogue raisonné Maurice Denis / Adagp, Paris 2009Les Enfants modèles

Jusqu’au 08 mars 2010

[fnac:http://plateforme.fnacspectacles.com/place-spectacle/manifestation/Exposition-LES-ENFANTS-MODELES–MODEL.htm]

Musée national de l’Orangerie, Jardin des Tuileries 75001, 9,50€

Qu’ils étaient sages! Les enfants modèles, qui posaient des heures pour leurs parents artistes – de Renoir, Rousseau,  Monet à Arditi, Belmondo, Valls en passant par Denis, Picasso, Sabbagh -, se souviennent de leurs séances de pose imposées à l’âge tendre. Une épreuve plus ou moins douloureuse qui leur vaut aujourd’hui d’entrer par la grande porte du musée de l’Orangerie.

L’exposition « Les Enfants modèles » s’inspire de l’oeuvre de la Comtesse de Ségur*, Les Petites filles modèles, et joue sur le double sens de ‘modèle’. Elle présente, selon un parcours chronologique, l’entourage d’artistes célèbres. Tout en soulignant l’évolution historique de l’art du portrait de famille.

Guillaume Dubufe. Portrait de Raymond Dubufe, 1884. Aquarelle. Collection particulière (c) DRLes poses affectées de la fin du XIXe siècle (cf. La famille d’Auguste Herbin) laissent progressivement place aux représentations individuelles. Portraits d’enfants sages, « modélisés », tels L’Enfant au verre d’Eugène Carrière portant la collerette, le Portrait de Raymond Dubufe de Guillaume Dubufe, avec son chapeau de paille, sa tenue ceinturée et sa batte de criquet à la main ou encore La Jeune fille à la poupée d’Eugène Vidal. A l’inverse, le Portrait de Robin John révèle un visage qui exprime la colère, la révolte contre cet exercise imposé.
Ce portrait crée la transition avec un carré central composé des jeux de ces enfants: voilier de bassin de Jean Sabbagh (annonçant sa vénération pour la Marine?), cerceau, soldats de plomb, poupées, cheval mécanique de Claude Lévi-Strauss (en quête des Tristes Tropiques?).

Henri Rousseau. L'Enfant à la poupée, vers 1904/05. Huile sur toile. Paris, Musée de l'Orangerie (c) Rmn / Franck RauxDans cet espace détonne l’intriguant Enfant à la poupée de Henri Rousseau, qui dénonce la « dictature du petit moment vrai ». La fillette présente un visage grave, d’adulte, qui contraste avec la vision habituellement « naïve » de Rousseau. Emmanuel Bréon (directeur du musée de l’Orangerie et commissaire de l’exposition) y voit là une possible « référence aux disparitions prématurées de six de ses sept enfants. Seule Julia-Clémence dépassa l’âge adulte, mais elle fut retirée de la garde de son père après la mort de sa mère », précise-t-il.
Même regard sombre chez Claude Monet qui livre dans Un coin d’appartement une autre vision de l’enfance avec son modèle, isolé dans un salon bourgeois, au milieu de la pénombre.

Augustin Rouart. Enfant dormant n°1, 1946. Huile sur toile. Collection particulière (c) Photo François DouryCe regard dur contraste avec les portraits atenants de Julie Manet, fille de Berthe Morisot et d’Eugène Manet, peinte par Renoir dans L’enfant au chat (le menton et l’ovale du visage de la fillette ressemble fortement au minois de l’animal qu’elle tient dans ses bras). A la gauche du portrait de Julie, une oeuvre de sa mère représentant Julie et son père. Et, à sa droite, un portrait réalisé par Julie elle-même de son neveu, Jean-Marie Rouart, comme ce dernier me l’explique, fier de pouvoir expliciter le complexe réseau d’alliances qui forme la genèse de ces oeuvres! L’enfant, devenu aujourd’hui écrivain, sera représenté un peu plus loin, dormant, par son père, Augustin.

Odilon Redon. Portrait d'Arï Redon au col marin, 1897. Huile sur carton. Paris, Musée d'Orsay (c) Rmn / Christian JeanS’ensuit une confrontation entre le portrait du fils de Cézanne et celui de Gauguin, ayant eu à six années près le même désir de représenter leur progéniture de profil. Cette mise en parallèle renvoie aux deux portraits d’Odilon Redon de son fils unique Arï, qui font face au double portrait de Mary Cassatt.

Pablo Picasso. Maya en tablier (c) DRAprès les Impressionnistes arrivent les portraits des enfants de Picasso. Ceux qu’il eût avec Olga (Paul en personnage de la commmedia dell’arte), puis avec Marie-Thérèse Walter (Maya). De l’autre côté, ceux (Paloma et Claude) issus de son union avec Françoise Gilot, qui les représente également (et seront les préférés de Claude, pour leur fantaisie, par rapport à ceux réalisés par son père).

Les portraits des enfants de Georges Hanna Sabbagh sont rapprochés de ceux de Maurice Denis pour leur utilisation commune des pastels.

La dernière salle est consacrée à des artistes plus proches de notre génération avec les portraits des enfants Belmondo, Arditi et le fils de Xavier Valls.
Pierre Arditi confie sur le même ton de voix qui nous est familier dans ses films: « Ces séances de pose silencieuses sont un souvenir douloureux pour un garçon de cinq ans, qui, comme tout enfant de cet âge, préférait aller jouer dans la rue plutôt que servir de modèle à son père. Surtout aux vues du résultat… Je ne comprenais pas ces trous noirs en guise de yeux. Il m’a fallu du temps pour percevoir ce regard artistique que portait mon père. C’est lui qui nous a appris à avoir un oeil. C’est un cadeau précieux dont je jouis sur le tard ».

« Les Enfants modèles » se concentre sur les images. Peu de mots, hormis quelques citations symboliques comme « Elever des enfants est une entreprise créative, un art plutôt qu’une science » (Bruno Bettelheim) ou « Le génie, c’est l’enfance retrouvée à volonté » (Charles Baudelaire). Ambiance bon enfant – on ne se prend pas au sérieux ici! -, qui invite le visiteur à regarder les oeuvres avec les yeux de sa jeunesse, et histoire de l’art en filigrane font de cette exposition originale une réussite.

A noter: dans l’auditorium, un film de 25mn présente les entretiens réalisés avec les descendants des artistes – sorte de making-off de l’exposition.

* La Comtesse de Ségur résida dans l’actuelle musée Henner (XVIIe arrondissementt) qui vient de rouvrir ses portes. Hôtel particulier où vécurent également « le club des cinq », comme les appelle Emmanuel Bréon, c’est à dire les enfants de Guillaume Dubufe, à qui le commissaire est lui-même apparenté.

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