« Avoir le compas dans l’oeil », HCB

Henri Cartier-Bresson. Sifnos, Grèce, 1961. Tirage de 1970, gélatino-argentique contrecollé sur carton. Musée d'Art moderne de la Ville de Paris (c) Henri Cartier-Bresson / Magnum PhotosHenri Cartier-Bresson – L’imaginaire d’après nature

Jusqu’au 13 septembre 2009

Musée d’Art moderne de la Ville de Paris, 11, avenue du Président Wilson 75116, 6€

Il existe trois sortes d’expositions: les rétrospectives monographiques, les chassés-croisés thématiques et les reconstitutions d’anciennes expositions. Le musée d’Art moderne de la Ville de Paris a choisi cette dernière option pour rassembler 70 photographies d’Henri Cartier-Bresson telles qu’elles avaient été présentées en 1975. Soit, tirées en grands formats (70 x 90 cm) et montées sur carton ou aluminium. L’absence d’encadrement fait particulièrement ressortir la force des compositions et le détail humain insolite, qui caractérisent le talent de « l’oeil du siècle ».

1975. Date charnière à laquelle Henri Cartier-Bresson, fils d’un industriel (textiles Cartier-Bresson) rebelle, cesse sa pratique de la photographie pour revenir à sa première passion, le dessin.
Titrée « Hommage à Henri Cartier-Bresson », cette exposition itinérante (Fribourg, Marseille, Suède, Milan) présente délibérement un nombre restreint d’oeuvres, mais jugées par leur auteur comme le meilleur crû de sa carrière.

Pour remercier le musée d’Art moderne de la Ville de Paris de lui avoir consacré deux expositions (1980 et 1981), H. Cartier-Bresson lui fait don des 73 photographies de l’exposition de 1975. Inscrit en 2002 dans l’inventaire des collections du musée, le fonds a subi une cure de jouvence avant de regagner les cimaises du musée.

L’exposition de 1975 était accompagnée d’un texte de l’artiste intitulé L’imaginaire d’après nature, dans lequel HCB définit son métier. « La photographie paraît être une activité facile; c’est une opération diverse et ambiguë où le seul dénominateur commun de ceux qui la pratiquent est l’outil. Ce qui sort de cet enregistreur n’échappe pas aux contraintes économiques d’un monde de gâchis, aux tensions de plus en plus intenses et aux conséquences écologiques insensées ». Nous étions en 1976; le texte semble pourtant tout droit sorti de la bouche de Yann Arthus-Bertrand (Home)!

« Pour ‘signifier’ le monde, il faut se sentir impliqué dans ce que l’on découpe à travers le viseur. Cette attitude exige de la concentration, une discipline d’esprit, de la sensibilité et un sens de la géométrie » (L’imaginaire d’après nature). Cet esprit géométrique se mesure à l’importance que le photographe accorde à ses compositions et qu’il tient de son apprentissage dans l’atelier de peinture d’André Lhote. D’où les jeux sur les ombres (Sienne, Italie, 1933), les lignes verticales qui s’opposent aux circulaires (Sifnos, Grèce, 1961), les formes humaines qui surgissent à l’improviste (Quai Saint Bernard, Paris, 1932; New York, cadre de banque, 1960) ou épousent le décor (Simiane-la-Rotonde, France, 1969).

« C’est par une grande économie de moyens que l’on parvient à la simplicité d’expression. » Un style épuré qui donne toute son importance au détail. Naturellement humain: « On doit toujours photographier dans le plus grand respect du sujet et de soi-même » (L’imaginaire d’après nature). Une larme qui s’échappe (Funérailles des victimes de Charonne, 1962), des visages qui s’enfouissent dans des mouchoirs blancs (Funérailles de l’acteur Danjuro, Tokyo, 1965). HCB accorde ainsi plus d’importance aux réactions qui découlent d’un événement qu’au fait lui-même. Comme l’atteste son reportage à Shanghaï, où il photographie la foule se précipitant vers les banques à la fin du Kuomintang (1949).

Bien qu’il suive l’événement à brûle pourpoint, le photographe sait garder de la distance. Il a le don d’être à la fois au coeur de l’action et de porter un regard décalé. Comme dans cette photo d’un homme en string, la tête appuyé contre la Forteresse Pierre et Paul, à Léningrad, ex URSS (1973).
« Photographier, c’est retenir son souffle quand toutes nos facultés se conjuguent devant la réalité fuyante; c’est alors que la capture de l’image est une grande joie physique et intellectuelle. Photographier, c’est, dans un même instant et en une fraction de seconde, reconnaître un fait et l’organisation rigoureuse des formes perçues visuellement qui expriment et signifient ce fait. C’est mettre sur la même ligne de mire la tête, l’oeil et le coeur » (L’imaginaire d’après nature).

Depuis ses débuts, Henri Cartier-Bresson croit à l’automatisme, idée qu’il partage avec ses amis surréalistes. Ses photographies ne sont jamais recadrées. L’artiste travaille dans le mouvement, à la recherche de l’instant décisif. « Nous jouons avec des choses qui disparaissent, et, quand elles ont disparu, il est impossible de les faire revivre. On ne retouche pas son sujet; on peut tout au plus choisir parmi les images recueillies pour la présentation du reportage […] Il faut donc approcher le sujet à pas de loup […] faire patte de velours, mais avoir l’oeil aigu. » (Images à la sauvette, 1952).

Henri Cartier-Bresson. Ubud, Bali, Indonésie, 1949. Tirage de 1970, gélatino-argentique contrecollé sur carton. Musée d'Art moderne de la Ville de Paris (c) Henri Cartier-Bresson / Magnum PhotosL’exposition regroupe ses premières oeuvres, qui forment, selon la commissaire Emmanuelle de l’Ecotais, un ensemble à part. Ses photographies de reportage pour l’agence Magnum qu’il cofonde avec David Seymour, William Vandivert, Robert Capa et George Rodger (1947). Oeuvres qui témoignent de son temps, de la misère du monde – HCB ne se réduit pas aux photographies d’enfants coquins et de couples amoureux! – avec beaucoup de sensibilité (Ubud, Bali, 1949; Tamil Nadu, Inde, 1950; Résistance aux bords du Rhin, 1944) -, et ses portraits. Un film (d’après une idée de William Klein, réalisé par Robert Delpire) conclut l’exposition.

« […] Il n’y a pas de solution standard, pas de recettes, il faut être prêt comme au tennis » (Images à la sauvette). En somme, « avoir le compas dans l’oeil, il n’y a pas de secret, ça ne va pas plus loin que ça ». N’en déplaise à sa modestie, toute l’exposition prouve l’inverse! Le père de la photographie humaniste n’a pas été surnommé « l’oeil du siècle » sur un caprice… Une exposition incontournable.

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Une réponse à « Avoir le compas dans l’oeil », HCB

  1. jean Guy Tremblay dit :

    Nous avons actuellement à Québec, Canada.. une mini-expo (27) photos de HCB….
    J,ai eu la chance d,assisterau vernissage.d’y amener des gens pour leur faire conaitre le talent de ce géomètre photographe, dont j,ai relu pour la 3ieme fois la bio(qui n’en est pas une) de Pierre Assouline…

    et je vais d’ailleurs faire partager ce plaisir à ma nouvelle amie….dans quelques heures….

    Jean Guy tremblay… photographe retraité (mais toujours photographe) qui a 40 ans de photographie dans l’oeil.

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